Lettre vagabonde – 28 juillet 2019
De tous les temps, les femmes ont eu quelque chose à dire. Leurs voix furent souvent recouvertes d’indifférence et écrasées sous le mépris. George Sand semble faire exception. Elle vécut une vie trépidante et dévouée à toutes les causes. Elle a fait couler beaucoup d’encre en affichant une liberté farouche et hors norme pour son époque.
La formidable biographie de Michelle Perrot, publiée en 2018, apporte un éclairage indispensable sur une figure de proue de son temps. Michelle Perrot nous entraîne dans les activités palpitantes de Nohant jusqu’à la mort, en 1876, de l’âme qui en détenait le sésame ouvre-toi. « George Sand à Nohant Une maison d’artiste, » nous fait apprécier et admirer un grand esprit du XIXe siècle. La biographe a entrepris des recherches poussées à commencer par la lecture de la volumineuse correspondance de ce « monument épistolaire. » Ses lettres furent publiées en vingt-six tomes sous la direction de Georges Lubin. En tout cinquante mille lettres envoyées à vingt mille correspondants.
Active, talentueuse, littéraire et scientifique, George Sand contribuera à rendre meilleure la vie des gens. Elle professait ses idées libérales accordant plus de liberté au peuple français, aux gens de la campagne. Elle déplorait la condition des femmes sous le joug d’une autorité masculine.
Auteure de cent romans dont La petite Fadette, Consuelo et La mare au diable, on la retrouve passionnée pour la musique, le théâtre, la peinture. Cette femme s’investit également dans l’éducation, la politique, l’agriculture, la botanique, l’entomologie et la minéralogie. Des activités dans tous ces domaines se déroulent à Nohant. Grâce à son écriture, elle supportera financièrement les artistes et scientifiques se rassemblant sous son toit. Heureusement, elle avait la plume facile. « Je reconnus que j’écrivais vite, facilement, longtemps, sans fatigue. » clamait l’écrivaine en ajoutant, « J’ai beaucoup de plaisir et d’amusement à écrire. »
Grâce à ses voyages et à son intarissable curiosité, George Sand se maintenait à la fine pointe des courants majeurs qui secouaient son pays. Elle défendit la cause des paysans et fit la promotion de clubs privés afin d’instruire et former la population en politique. Se soulevant contre la condition inférieure subie par les femmes, elle qualifiait les mariages arrangés d’une forme de prostitution et de viol. Si elle consacrait son temps à l’instruction de ses enfants, Solange et Maurice, elle veillait aussi à instruire les domestiques et femmes de chambre. Elle leur apprenait à lire.
Nohant s’avère un lieu accueillant et ouvert à toute forme de savoir. Elle rêvait grand pour Nohant et la maison fut transformée à la dimension de ses projets. Les dîners de quinze convives étaient monnaie courante. Les curieux et les amis « étaient rentrés dans l’orbite de Sand, de cette communauté des goûts, des intelligences et des cœurs qu’elle rêvait de constituer. » Pour Sand, « l’art se perdrait certainement s’il ne créait pas de sanctuaires pour se retremper. » Auquel ajoute Michelle Perrot, « Une oasis, un sanctuaire : la vocation idéale de Nohant. »
George Sand déploie un dévouement inconditionnel aux artistes. Une chambre à la porte capitonnée offrit à Frédéric Chopin un lieu privilégié où il composa la majeure partie de ses œuvres. Des carrières de chanteuses, de musiciens prirent leur essor en ces lieux. Les peintres ne furent pas en reste. Se succédèrent à Nohant Eugène Delacroix, Théodore Rousseau et bien d’autres. Ils furent dotés d’un vaste atelier. Maurice, le fils, eut aussi droit à son atelier où il s’adonna aux dessins et à l’aquarelle. Parmi les écrivains, citons Honoré de Balzac, Gustave Flaubert, Tourgueniev, Théophile Gauthier. Alexandre Dumas y séjourna plus d’un mois et demi.
Comme George Sand admirait toute forme d’art, elle aménagea une loge, une scène et une salle ouverte au public du Berry. De grands comédiens y jouèrent dont Arnaud Passy et Pierre Bocage. Avec Maurice Sand, le théâtre de marionnettes fut reconnu et perfectionné. La mère confectionnait les costumes des personnages confectionnés par le fils. Savants et politiciens, sous la République s’arrogent les faveurs et l’appui de la dame de Nohant. Elle accueille les opposants au dogmatisme clérical et à l’aristocratie rétrograde. Elle-même adhère à la république démocratique et sociale.
Il existe bien des façons de s’instruire et George Sand les emprunte toutes. On retrouve des volumes dans bon nombre de domaines scientifiques et artistiques. Pour chacun de ces domaines, elle a invité à Nohant d’éminents spécialistes et entreprit des voyages d’exploration. Elle aura étudié dans toutes ces branches de savoir. Ses jardins bien aménagés sont la preuve de ses connaissances en botanique. La protection de la nature fut son champ de bataille.
Pour accommoder tous les gens qui séjournent chez elle, Sand aura créé deux ateliers de peinture, un atelier de gravure, une bibliothèque de huit mille volumes, un petit théâtre et un magasin de décor. Toutes les pièces sont remplies. Malgré son peu de fortune, la dame de Nohant aura contribué à l’avancement des arts, de la littérature et des sciences, et ce même à l’extérieur de la France. En Californie, elle a financé une communauté du nom de Commune libre de Mokelumne Hill où se rassemblait l’immigration française.
On se demande où l’écrivaine trouvait le temps d’écrire. L’horaire de George Sand : « travailler, dormir, manger. » Son lieu d’écriture, une chambre si exiguë qu’elle installe un hamac au lieu d’un lit et un bureau au lieu d’une table d’écriture. Ses agendas indiquent un respect scrupuleux de son emploi du temps. Elle écrivait d’une heure du matin jusqu’en début de matinée, dormait quatre à cinq heures, déjeunait, faisait sa correspondance, travaillait à l’extérieur, lisait avant de dîner avec les nombreux invités et pensionnaires des lieux. Les soirées étaient consacrées à la musique et au théâtre. L’horaire de Churchill paraît faible et terne à côté de celui de Sand.
Michelle Perrot nous invite à Nohant où George Sand nous accueille chaleureusement dans sa maison d’artiste. On partage les goûts, les rêves et les connaissances de la maîtresse des lieux. La biographie nous livre le quotidien d’une femme exceptionnelle, douée et généreuse ainsi que le portrait d’une époque. L’écriture est souple et entraînante comme un bon roman. Une lecture motivante qui rejoint sûrement les aspirations de nombreux lecteurs et lectrices.
Pour voir des photos de la maison de George Sand, cliquez sur le lien ci-dessous.
Et oui, c’est vrai, je vois de la George Sand dans Alvina! L’amour du partage, de la connaissance et des autres…
Elle aurait aussi aimé le lac Cascapédia je crois 😉 Merci pour ta chronique!!
Ta dernière mention de George Sand tirée de tes chroniques Alvina remonte à février 2006 alors qu’elle « t’escortait » dans ton périple à Lodève, un séjour de quelques semaines dans l’Héraut. Toi qui sais beaucoup d’elle, moi qui n’en connais que très peu, je suis émerveillé par les mots que tu en dis à propos de son ouverture pour les arts, de son soutien pour les artistes, de sa passion pour l’écriture. Ta lecture de Michelle Perrot nous fait connaître Nohant et l’inspiration que George Sand a pu faire naître chez toi en créant » La Tourelle », un endroit où nombre d’écrivains ont séjourné, nombre de convives s’y sont présentés pour rire, parler, écrire, partager leur enthousiasme pour la lecture. Un endroit où la promotion de la culture est toujours présente depuis plus d’un quart de siècle. Bonne continuité! Urgel
Chère Alvina,
Ta chronique sur Georges Sand m’a fait voyager dans le temps, dans le rêve et dans l’admiration. Elle m’a amenée là où nous rêvons toutes d’être, ce lieu de joyeuse abondance intellectuelle, littéraire, artistique et scientifique. Je me rends compte à quel point nous devons à cette grande femme et je te remercie du fonds de moi-même pour nous avoir transmis une magnifique étincelle de cette beauté. D.E.