Lettre vagabonde – janvier 31 2007
Chère Hélène-Annie,
Tu m’en demandes trop. Oublier la Poste? Impossible. Critiquer le service soit. Mais de ne plus me servir de ce moyen de communication ne m’effleure même pas. La communication par voie postale recèle des trésors. Qui n’a pas vécu l’émotion intense de retrouver au fond de sa boîte aux lettres le bonheur quand une lettre ou un colis l’attendait au moment où il ne s’y attendait pas ?
La Poste a évolué comme tous les moyens de communication. Elle ne remplacera jamais Internet et ses courriels certes mais elle fera son petit bonhomme de chemin. Le coût des services postaux a augmenté comme ceux des carburants et des moyens de transport. Tout moyen de communication a un prix rattaché à ses services. Tu as raison de dénoncer le prix exorbitant à payer pour l’envoi d’un colis. À force de mesurer l’épaisseur, la longueur, la largeur et de prendre son poids, le colis est affublé d’un prix exagéré.
Afin d’éviter les mauvaises surprises au bureau de poste, je me suis équipée d’outils et munie d’informations pertinentes. Il existe un gabarit des dimensions des envois du régime intérieur et des dépliants avec les codes et les prix. Te servir d’une pesée de cuisine peut t’éviter également des déceptions. Imagine-toi que je possède même un pèse-lettre. Mais je ne ferai quand même pas une étude des services postaux et de ses progrès.
Tu affirmes « être une enfant de la génération de l’instantané. » Je crois que vouloir tout, tout de suite a contaminé plus d’une génération. On a besoin de cuire son riz instantané au micro-ondes, de recevoir son repas en même temps que sa monnaie dans la restauration rapide; on grogne lorsque l’on doit demeurer plus de dix minutes dans une file d’attente. Rapidité et efficacité sont devenues des besoins à assouvir par tous les moyens. Le service postal ne fait certes pas partie de cette catégorie.
Postes Canada n’a rien à envier à certains pays mais il aurait avantage à suivre le modèle de quelques autres. La France, l’Angleterre sont dotés d’un meilleur réseau postal que nous. À l’époque où la romancière Gabrielle Roy séjournait en Angleterre, elle vantait déjà les mérites de son service postal. Je lui donne raison puisque les lettres de Véronique m’arrivent de ce pays en cinq jours ou moins. Il n’est pas rare qu’une lettre en provenance de Moncton me parvienne à Pointe-à-la-Croix au bout de deux semaines.
La Poste demeure un moyen de communication unique et privilégiée malgré ses faiblesses. Il y a la lenteur du courrier, mais je trouve dans une lettre une profondeur que me procure rarement un courriel. Une lettre possède une charge d’émotion qui lie intimement le lecteur à l’expéditeur. On s’installe où l’on veut pour la lire. Elle détient des traces de caractère, elle a de la personnalité. Comment ne pas s’adonner au bonheur que l’on découvre dans la boîte aux lettres?
Un colis m’est parvenu ainsi la semaine dernière. Le dernier roman de l’auteure Michèle Marineau, accompagné d’une dédicace. On dirait qu’en prenant du temps, certains gestes prennent de la valeur. Ils survivent plus longtemps dans la mémoire. Joë Bousquet dirait : « Donne ton temps à la vie et ce ne sera plus le temps et ce sera la vie. » Il me semble que le long itinéraire d’un envoi postal lui confère une importance et lui assure une durée. Un courriel a tendance en général à être éphémère. Une lettre est quelque chose qui ne meure pas. Simone de Beauvoir disait de la correspondance : « C’est formidable comme une petite lettre qu’on met si peu de temps à lire peut changer tout le ton des journées. »
Hélène-Annie, peut-être aurais-je dû t’envoyer cette lettre par voie postale. Il me manquait ton adresse à domicile. Tu es de la génération de l’instantané mais tu es aussi de celles des bien intentionnés. Rappelle-toi la fable Le lièvre et la tortue, cette histoire de vitesse et d’acharnement. Arriveras-tu vraiment à oublier la Poste?
Amicalement,
Alvina