Lettre vagabonde – 11 avril 2007
Cher Urgel,
Il est de ces écrivains qui aident à remonter le temps. L’un des deux écrit : « On aura beau vivre centenaire, on ne cessera jamais de rechercher ses chers disparus. » L’autre consacre son dernier récit à leur recherche. L’un se nomme Amos Oz, l’autre Paul Chanel Malenfant. Deux auteurs qui ont passé par le récit poétique pour raconter l’enfance.
Dans Rue Daubenton Paul Chanel Malenfant écrit : « J’aime que l’invention de ces tenaces souvenirs d’enfance fasse partie de ma vérité d’homme. » Comment en serait-il autrement? On tricote même l’avenir en démêlant l’écheveau de l’enfance. C’est le pays où se refont les frontières où se modifie la tournure des événements.
Avec Seule la mer, Amos Oz donne la parole à M. Albert Danon. C’est lui qui retournera du côté du passé, du côté de la mort aussi. Il y a toujours la mort à franchir pour retrouver l’enfance. Tous ces morts dans nos vies mais toute la vie qu’il nous reste d’eux. Oz comme Malenfant recherchent le père, la mère. Oz le sait : « Près de la mer l’attend son père/Et au-delà, dans les profondeurs, sa mère. » Malenfant nous ballote entre « deux rives : vivre et mourir .»
Impossible de demeurer là à lire ces deux récits poétiques comme si on était au milieu de nulle part. En avril 2006 je parcourais les lieux où Paul Chanel a erré à son tour. Le lac Salagou, Sète, Saint-Guilhem-le-Désert et le causse de Larzac, j’y suis retournée avec lui. Le poète possède un pouvoir évocateur lorsqu’il nous ramène sur des lieux connus ou à des situations familières. J’ai traversé Rue Daubenton comme un voyage. L’écriture a ce don de nous faire accéder aux moments forts de notre existence.
Dans Seule la mer, je pourrais être dépaysée en pénétrant en Israël, en parcourant le Tibet et le Sri Lanka. Mais non. C’est un transit entre le Xanadu rêvé et les lieux de profonde solitude. La rue Amirim d’Amos Oz est aussi palpable que la rue Daubenton de Paul Chanel Malenfant. Deux écrivains, deux pays mais une seule traversée : le cours d’une vie. Leur histoire nous happe au passage.
Nous sommes tous des êtres de passage qui lançons nos rêves et nos actes comme graine en terre. Les semences se mêlent, les souvenirs s’entrecroisent et la mémoire récolte ce qu’elle peut. Nous sommes des infatigables jardiniers du temps. Nos états d’âme influent sur l’état du monde.
Si les paysages diffèrent entre Seule la mer et Rue Daubenton, la poésie qui les parcourt puise au même jardin de mots. J’emprunte à Paul Chanel : « Le poème entonne toutes les langues de la terre sur les places publiques. À l’unisson des voix pour la célébration des choses. » Amos Oz, Paul Chanel Malenfant, deux voix, un seul chant. Grâce à eux j’ai retrouvé un bout de chemin que je croyais perdu. Pour demeurer dans l’atmosphère de Pâques, ça pourrait se nommer résurrection.
Amitiés,
Alvina