Lettre vagabonde – 2 novembre 2009
Cette année s’envole ma jeunesse de Jean-François Beauchemin est un livre qui déborde des marges de la vie, qui furète en tous ses recoins, même ceux habités par la mort. Un livre qui ne quitte jamais tout à fait son lecteur. Des mois ont passé depuis ma première lecture du récit. Jean-François Beauchemin est un passeur entre la rive de la vie et celle de la mort, entre le ciel au-dessus et la profondeur des abysses où se déposent parfois les étoiles. Passeur de corps, de cœur, d’âme aussi. Cette année s’envole ma jeunesse est l’histoire d’une mort mais d’une naissance également. On peut faire confiance au passeur qui en assure la mystérieuse traversée.
Que cherche donc Jean-François Beauchemin sous l’apparente surface des choses? Tout ce qu’il a peut-être trouvé déjà. N’a-t-il pas traversé la mort, plongé au fond du puits sans fin pour en rebondir miraculeusement? La Fabrication de l’Aube avait déjà révélé un grand initié réchappé d’un périlleux rite de passage. Ce récit fut suivi de Ceci est mon corps où un homme réussit à s’échapper de son inéluctable destin.
Nanti des gènes de celle qui lui a donné la vie, Jean-François révèle les prémices de sa deuxième naissance suite à la mort de sa mère. Grâce à son tempérament indocile, son imagination fertile, il a franchi depuis longtemps le mur des fausses certitudes. Il chemine libéré, au pays de l’introspection. Il sait capter une sensation à peine perceptible avec la dextérité du sportif qui attrape un ballon. Le fils est présent à la mort de sa mère, il l’accompagne. « En touchant à la fin le vieux front apaisé, j’y cueillis le secret désir de devenir le plus possible cet homme que je devinais en moi-même et que je sentais se hisser jusqu’à moi, » rapporte l’auteur. Il se laisse habiter par sa mère jusqu’à subir une profonde transformation. Il s’affranchira de ses visites au cimetière lorsqu’il aura découvert le fragment qui lui réservera une véritable mue, qui lui révèlera un autre lui-même, investi d’un esprit résolu, d’une pensée approfondie, d’un regard aiguisé sur les êtres et les choses.
Cette année s’envole ma jeunesse est une histoire d’amour. L’amour émanant de la chorégraphie des derniers gestes d’une mère avec son fils. Cet échange lors des derniers instants sera l’un de ceux qui l’aideront plus tard à affronter des catastrophes. Jean-François Beauchemin sait explorer du côté de la non-vie et transformer un tragique événement déroutant, douloureux et déstabilisant en une quête de sens.
J’ai tenté de faire un rapprochement entre la célèbre œuvre d’Albert Cohen Le livre de ma mère et Cette année s’envole ma jeunesse. Albert Cohen raconte à merveille l’histoire d’une mère qui n’a vécu que pour son fils. Elle le vénérait. À son tour, il vénérera celle qu’il appelle la sainte Maman dans l’hommage sublime qu’est Le livre de ma mère.
Cette année s’envole ma jeunesse explore à un tout autre registre les relations mère-fils. Il existe ici un lieu où l’on ne distingue aucune supériorité, aucun rôle basé sur l’expérience. Jean-François révèle qui il est devenu grâce à sa mère. Il y retirera l’essentiel de sa force. Le récit de Jean-François puise sa matière dans l’introspection. Ses réflexions incitent à soulever le voile de la mort afin d’en saisir la force de vivre. L’auteur nous encourage « à tout voir avec le corps, c’est-à-dire avec l’intuition, la mémoire, l’inconscient, le désir et l’action. »
Qui sait où se trouvent l’âme des êtres disparus? La voie lactée n’est-elle pas le chemin des étoiles, formé à même le lait maternel selon la légende? Jean-François Beauchemin en perçoit-il l’essence quand il écrit « Les étoiles me réconfortaient encore. J’avais beaucoup contemplé ce monde de feux, d’orbites et de fuyants météores. » Parfois, moi aussi je cherche l’absente, le regard porté vers une nuit étoilée. Cette année s’envole ma jeunesse recèle des traces d’éternité qui consolent de l’éphémère.