Lettre vagabonde – 14 juin 2006
Cher Urgel,
Au cours d’une vie, nous nous déplaçons de lieu en lieu pour le travail, nos besoins ou le plaisir. Le premier lieu, celui qui nous a vus naître demeure l’officiel, le point de chute de notre périple sur la terre. De nombreux documents possèdent une case où indiquer son lieu de naissance. C’est notre appellation d’origine contrôlée.
Notre société occidentale fait de nous des semi-nomades. Nous nous déplaçons d’une région à l’autre afin de nous approcher du milieu de travail ou de certains services. Il est rare de voir ceux de la deuxième génération s’installer au même endroit que la première. Les enfants de mes amis et de mes anciens collègues sont partis vivre ailleurs. Souvent à la retraite, les premiers partent à leur tour.
Si nous choisissons des lieux où l’on veut vivre, nous rêvons d’ailleurs inlassablement comme si l’errance se trouvait au cœur de notre évolution. On dirait qu’il existe toujours un endroit qui nous attire. Et chacun de clamer : « Ah ! mon rêve serait de m’installer en cette région à cause de son climat, en ce pays pour sa culture ou en campagne au milieu de la nature. » Chacun y va de ses préférences.
Il existe des lieux que l’on fuit comme la peste, où un séjour d’une journée suffit à nous en éloigner pour ne plus y revenir. Nicolas Bouvier, l’écrivain voyageur affirme qu’il y a pour chaque être humain cinq ou six endroits où il ne supporterait pas de vivre sans pouvoir en expliquer la raison. C’est une question de vibrations et d’énergie. Brest m’a fait cet effet et j’ai dû déguerpir. Nos amis insistent pour nous faire visiter les lieux qu’ils ont aimés et qui nous conviendraient sûrement.
Une amie m’a révélé l’existence de cités de livres réparties sur une douzaine de pays. Elle m’encourage à découvrir une de ces cités parmi les six en France. C’est Bécherel en Bretagne. Cette ville de 673 habitants possède une quinzaine de librairies ainsi que des ateliers de calligraphie et de reliure. Il y a là de quoi satisfaire ma passion pour les livres. Chaque année Bécherel organise une grande fête du livre lors du congé de Pâques. Je suis attirée par ces lieux littéraires. Je crois que chacun se réserve ainsi un lieu rêvé à visiter un jour.
Si tu devais choisir trois endroits bien précis où t’installer pour un an, quels seraient tes choix Urgel ? Et où désirerais-tu habiter indéfiniment ? La question se pose de plus en plus à mesure que les gens approchent de la retraite. Les Canadiens veulent fuir l’hiver froid et l’exode vers la Floride augmente chaque année. Les Canadiens de la Côte ouest se dirigent plutôt vers le Mexique. À nous de saisir la boussole et suivre la direction de l’aiguille jusqu’à destination. Des endroits sont privilégiés pour la douceur du climat, la qualité des services ou le choix des habitations. Ces villes ou villages se sont transformés en véritables centres de villégiature ou une sécurité maximum est assurée et une multitude de services offerts. Il y a les autres qui ne cherchent rien en particulier du côté du réel. Ils s’enlignent plutôt du côté de leur imagination et s’aventurent en zone inconnue. Ces personnes sont du genre à suivre le conseil de l’écrivaine Ella Maillart : « Chacun devrait prendre son bâton de pèlerin et aller au bout de soi-même. »
Tu vas me dire que ce n’est pas tout le monde qui cherche un lieu à des centaines de kilomètres de chez lui. Je te l’accorde. Des lieux privilégiés existent très près de nous. On peut y passer de bons moments libres. Un lieu justement où la liberté est au rendez-vous. Un lieu sacré où « personne ne vient envahir notre intimité » déclare la chanteuse Ginette Reno. Virginia Woolf insiste qu’une femme doit posséder une chambre à soi pour écrire une oeuvre de fiction. Madame Bâ d’Orsenna insiste sur l’importance de lieux à s’approprier : « Parce qu’ils font résonner en vous de très lointains échos, parce qu’ils vous installent dans la lenteur du temps, parce qu’ils jouent de vous comme d’un instrument et vous emplissent d’une musique muette, parce qu’en un mot ils s’adressent directement à votre âme sans prêter attention à tous vos masques et déguisements, il est des lieux amis qui vous réconfortent mieux qu’aucun humain ne saurait le faire. »
Peut-être que chaque lieu qui nous attire puise à la source intarissable de nos rêves. Nous ne sommes donc jamais rassasiés. Il restera toujours des lieux à découvrir.
En toute amitié,
Alvina