Lettre vagabonde – 7 avril 2004
Salut Urgel,
La neige fond. Les sentiers balisés s’avèrent impraticables. Ailleurs, les pas s’enfoncent dans les grands espaces blancs qui s’affaissent sous les chauds plongeons du soleil. Il ne reste que les routes où marcher. Là, il serait préférable de pouvoir avancer les yeux fermés pour éviter de voir tout ce qui s’y terre.
La neige fondante se dissout dans la saleté accumulée sur les rebords du chemin. Les ordures et les débris de toutes sortes donnent au fossé des allures de décharge publique. Chaque printemps révèle la laideur que l’hiver s’est évertué à camoufler.
Je pourrais entreprendre une recherche des us et coutumes d’une région rien que par l’observation des ordures éparpillées dans les fossés au printemps au cours des ans. Auparavant les bouteilles de bière venaient en première place suivies des boîtes de carton avec leurs marques de commerce : Dixie Lee, Kentucky, Player’s, Export A. Des cannettes de boissons gazeuses côtoyaient les sacs de croustilles et les contenants en polystyrène. Aujourd’hui je constate la présence réduite des bouteilles de bière et des contenants de carton. Les contenants de plastique sont par contre en première position. Ils sont suivis par de grands morceaux de polystyrène ayant pu contenir un téléviseur ou un four à micro-ondes. Les gobelets de Tim Horton et de Soup N Sweet ont remplacé les boîtes de Kentucky et de Dixie Lee. Il y a moins de paquets de cigarettes vides. Et que dire des pièces d’automobiles. Ma foi, c’est à croire que certaines machines se sont démantelées et se sont éparpillées en pièces détachées le long de leur trajectoire. J’exagère un peu. Parfois de longues sections de plastique flexible et transparent sont entortillées autour des débris. Comment peut-on lancer ou jeter autant de cochonneries le long d’une route. Au Canada, il existe pourtant la collecte des déchets. Heureusement, quand mai arrivera, les villages entreprendront le nettoyage des fossés afin de retrouver dignité et propreté. Le grand ménage du printemps quoi.
La campagne, ça se nettoie que je me dis. Quant aux villes, à part la poussière et quelques déchets épars, on pourrait trouver l’endroit propre. Le hic en milieu urbain, ce sont les commerces abandonnés, aux vitrines sales, aux devantures abîmées et aux allures de cimetière saccagé. Des vitres placardées de papier brun ajoutent à l’air d’abandon. Une déchéance règne, autant humaine qu’économique. Il sera difficile d’entreprendre le grand ménage dans une ville vidée des ses emplois et de ses employés. Une ville vidée de sa fierté et de sa dignité également.
Il est un autre domaine où semble se prolonger un grand ménage depuis la précédente saison : le ménage des mœurs dans le fouillis des scandales tant au Québec qu’au Canada. Une fouille exhaustive, une lecture entre les lignes mensongères permettraient de détecter un scandale par province. Des individus font la commande de jeunes comme ils passent une commande au menu à la carte de quelque chic restaurant jusqu’à se repaître au-delà de l’extrême limite de la conscience humaine. Et ces maraudeurs de biens publics, Gagliano et compagnie qui siphonnent à l’entonnoir des commandites les argents de ceux qui n’ont pas comme Paul Martin réussi à s’exempter de leurs impôts. Les enquêteurs en hautes instances auront beau frotter tant qu’ils voudront, la saleté à ce palier est incrustée depuis si longtemps qu’une crasse ne fait qu’en recouvrir une autre. D’ailleurs les préposés au grand ménage politique ont souvent les mains si sales que l’encrassement est devenu un état d’être dans l’état qui nous gouverne.
Bien oui Urgel, le printemps est au déterrement des détritus. Malgré le grand ménage perpétuel, rien ne laisse présager que l’on sortira propre et net de ce bourbier. Je me console en me disant que les personnes qui défont le monde sur la place publique passeront tout aussi brièvement que les personnes qui font le monde au fond d’eux-mêmes.
À lire absolument Urgel « Iotékha » de Robert Lalonde. Il n’a pas perdu l’habitude de nous citer les auteurs qui le marquent. Ça te permettra d’entreprendre un grand ménage vernal. Tu auras l’aide de Robert Lalonde bien sûr mais également de Teilhard de Chardin, Giono, Blaise Cendrars, Annie Dillard, Gaston Miron, Henry Miller et de toi-même secouru par l’énergie contagieuse de l’auteur. Robert Lalonde ne cesse de nous accrocher à l’espoir à travers les méandres de son journal. Brûle-toi à Iotékha. Ça nettoie et ça embellit. Je te quitte sur les propos que l’auteur d’Iotékha a trouvé chez Blaise Cendrars : « La vie est une sacrée partie. Il n’y a pas de dupes. Le gagnant, le perdant, tous meurent. »
Alvina