Lettre à un Français en mal d’acclimatement aux hivers canadiens

Lettre vagabonde – le 22 décembre 2004

Bonjour Benoît Ferradini,

En lisant ta chronique du 14 décembre intitulée « Il pleut » j’ai eu le goût de te répondre. Tu as raison, le temps qu’il fait occupe la conversation et l’humeur des gens. Il affecte le comportement et modifie l’emploi du temps. Une chose certaine, le Canada est un pays de quatre saisons bien distinctes même si parfois, elles empiètent les unes sur les autres.

Certains réfutent catégoriquement le climat canadien et s’enfuient en Floride, au Mexique et autres régions du sud dès que l’hiver se pointe. D’autres prennent de l’avance en prenant la fuite à l’automne pour ne revenir qu’au mi-printemps. Il y a une catégorie de contestataires, les malheureux, les résistants, les grincheux qui attaquent le mauvais temps à coups d’injures. Il y a aussi les victimes qui devant toute forme d’intempéries soupirent : « on n’a pas le choix ». On dirait qu’un fléau s’abat sur ces gens, telle une malédiction, une menace, une atteinte à leur liberté. À quoi sert de se taper une crise de nerfs quand le matin déverse sa chaudière de pluie ou crache ses flocons de neige ? Le temps est aussi imprévisible que les émotions. Le climat de l’Amérique du Nord s’avère plus tempéré que nous. Au moins on peut prédire son prochain geste.

Je connais des endroits sur la planète où le climat perturbe drôlement la vie des gens à coup de séismes, d’éruptions volcaniques, d’ouragans, de sécheresses et de pluies diluviennes, causant des milliers de morts et laissant des régions dévastées. Chaque pays a son climat, c’est un fait indéniable. Il n’y a qu’un soleil pour percer nos milliards de nuages. C’est à nous de décider quoi faire avec le temps qu’il fait.

À l’est du Canada, apprivoiser l’hiver, c’est se donner une manière de vivre au lieu de subir et de maudire la neige et la froidure. L’hiver est la seule saison qui nous oblige à ralentir. Le rythme de la lenteur n’a plus sa place comme si chaque minute s’égouttait en pure perte tel le sang, d’une blessure. L’hiver, tout prend plus de temps et occupe plus d’espace aussi. Tout comme les jours, les cours et les routes rétrécissent.

 Imagine-toi Benoît que j’ai passé les vingt-trois premiers jours d’un voyage en France sous la pluie durant les années 80. Ça ne m’a pas empêchée d’y retourner. Il n’est pas facile pour toi d’apprivoiser le climat de ton pays d’adoption. Ta chronique a des percées d’espoir. Tes pointes d’humour dédramatisent ce qui désespérerait plus d’un Français. La neige j’aime ça moi. Je n’ai jamais vu d’enfants aussi heureux, aussi libres et imaginatifs que ceux qui jouent dans la neige. Ça transforme une cour de récréation en bonheur. La neige, on marche dessus, on saute dedans, passe au travers et on en ressort propre, frais et dispos. Je crois que la neige fut inventée pour les enfants. Elle a marqué mon enfance.

J’ai toujours été fascinée par la neige, son odeur, ses couleurs, ses multiples substances et formes. Je m’amuse toujours du bruit qu’elle fait. Un des romans qui m’influence beaucoup « La montagne magique » de Thomas Mann est rempli de neige du début à la fin. Le personnage Hans Castorp s’émerveille de découvrir les substances de la neige : « de précieux et précis petits joyaux […] des bijoux, des étoiles, des agrafes de diamants… » La température à l’extérieur se devine au bruit de nos pas sur la neige et à la visibilité de notre haleine. La blancheur de la neige n’est qu’une de ses nuances ; je l’aperçois tantôt bleue ou mauve, tantôt dorée, jaune et parfois poivre et sel. Ses états d’âme se devinent à ses odeurs. Je renifle parfois une senteur de métal, celle de poil mouillé ou de gaz lourd et humide. Elle capte souvent les parfums de son environnement. Elle offre une variété de fragrances à faire l’envie d’un jardin de fleurs.

Quand je prends la route de neige, du froid, la solitude vient vite m’habiter, l’enchantement aussi. La liberté circule en m’emportant sur mes raquettes. Il y a ce petit bruit que fait la neige avec le silence. Ça ressemble à une étincelle qui enflamme l’imagination en reléguant le mental dans l’ombre. Je crois que sa grande légèreté incite la pensée à se délester de ses soucis.

On met trop de malheurs sur le dos des saisons. Chacune a sa place, son énergie, sa raison d’être. Elles fournissent un régime de vie équilibré. Chaque instant porte ses splendeurs comme ses déceptions. Il n’y a pas que le mauvais côté des choses qui agisse sur nous, à moins que nous en décidions ainsi.

Un de tes compatriotes, l’écrivain Gilles Lapouge a écrit un récit intitulé « Le bruit de la neige ». Il y constate que les récits de la Bible envoie des fléaux de grêle et de pluie, jamais de neige. Yahvé ordonne à Moïse de laisser tomber « dans tout le pays d’Égypte, sur les bêtes, les hommes et les champs, de la grêle ». Puis il y eut le déluge. L’écrivain allemand, Ernst Jünger, affirme que l’on apprend à penser au contact du froid et des glaces. C’est peut-être à cause de la lenteur de certains gestes, comme de nos pas dans la neige épaisse. C’est encore ton compatriote Gilles Lapouge qui clame : « Oui, donnez-moi pour mon argent un hiver canadien, ou encore un de ces hivers russes où l’on partage avec le vent du Nord la propriété de ses propres oreilles. »

Je sympathise avec toi Benoît. Vancouver m’a déjà fait le coup de pleuvoir à verse sur mes dix jours de congé de Noël dans sa ville. Elle s’était transformée en un champ où s’agitaient en ses sillons des centaines de tournesols noirs tant les trottoirs grouillaient de parapluies. Ne te laisse pas avoir par une passe de faiblesse qui s’avère aussi une force comme tu l’affirmes si bien dans ta chronique. S’il pleut trop longtemps sur ton moral, je te conseille de prendre rendez-vous avec Emily Carr. Tu la trouveras au « Vancouver Art Gallery ». Elle a peint de magnifiques toiles des « rain forests » de la côte du Pacifique. Son pinceau et sa plume ont laissé des traces de pluie sur son parcours d’artiste. Ce sera peut-être la goutte qui te fera déborder du côté de l’émerveillement.

Joyeux Noël à toi et à Julie. Si ça vous manque un jour un vrai Noël blanc, venez faire un tour chez moi. À Petite-Rivière-du-Loup, un grand alchimiste transforme la pluie en neige. Et des raquettes, y’en a suffisamment.

 

 

Alvina,

du pays de la neige

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