Joanne Morency, une écriture au plus près de nous

Lettre vagabonde – 19 novembre 2010

La poésie de Joanne Morency rejaillit hors des frontières et rebondit jusqu’en France. Honoré à plusieurs reprises déjà, le recueil Miettes de moi s’est vu décerner en septembre 2010 le prix de poésie L.A. Finances à Paris. Lors de la présentation, Michel Collot, écrivain et professeur à l’Université de Paris, adressa un vibrant éloge à l’auteure en ces termes : « C’est une poésie du quotidien, qui fait la part belle à l’humour et qui n’évite pas les thèmes et les termes les plus prosaïques. Mais par là-même, elle s’inscrit dans une tendance profonde de la modernité, qui vise à désaffubler la poésie, à lui retirer sa perruque et à la faire descendre de sa tour d’ivoire, pour la mettre au contact de la réalité rugueuse, à ras de terre. »

Joanne Morency nous revient avec la publication chez Triptyque du recueil Le cri des glaciers. Des poèmes brefs où le ton nous projette de la crête au creux de la vague avant que la déferlante ne s’abatte sur une dernière strophe percutante. Si cette œuvre semble se distinguer de Miettes de moi elle en porte les gènes dominants.

Le cri des glaciers se compose de métaphores où le corps et l’univers s’imbriquent en un mouvement similaire, l’un soulevé par les affects, l’autre par les éléments. Tout se meut, se disloque en une multitude de fragments. Rien n’est stable et l’immobilité n’a pas sa place dans les poèmes de Joanne Morency. Sa poésie secoue le lecteur et le propulse en plein cœur d’une trame qui se devine plus qu’elle ne se révèle. L’humain comme la terre est en quelque sorte à la dérive. Ses idées, ses émotions et ses cellules s’entrechoquent.

Le vocabulaire déstabilise, et par le jeu de la métaphore, exige du lecteur une association inusitée entre l’univers et le corps. L’un et l’autre s’approprient les plaques tectoniques et les cellules mouvantes. «tu te désassembles / et te réassembles sans cesse / te mouvant chaque jour / sous une forme nouvelle » et «soudain la terre / secoue les certitudes » reflètent le ton allégorique des poèmes. On dénombre une trentaine de mots pour nommer l’univers, ses éléments et leurs composantes. Une cinquantaine nomme l’être, le corps, ses membres et organes. Tout se lit au plus près, au plus intime de soi, en secousses et en soubresauts. « Des glaces dérivent / vers l’extrémité des membres / trop de douleurs ont franchi la douane. » L’auteure revient avec : « Il faut parer aux attaques imprévues / les cellules ne se reconnaissent pas entre elles / rien n’est à l’abri des tirs amis. »

On ne peut que faire corps avec la poésie de Joanne Morency. Si « personne n’arrive à réunir en soi / le cri de tous les hommes » ni arrêter « le cri des glaciers au mi-temps de nos vies », nous pouvons par la poésie nous approprier un peu de consolation et certainement une meilleure compréhension de soi et des autres. La poésie demeure ma meilleure alliée. Elle explore les états d’âme et les états du monde. Le cri des glaciers est une œuvre symbolique et allégorique où chacun reconnaît son parcours irréversible. Le mouvement des glaciers laisse s’écouler l’eau de fonte comme s’écoulent en nous les années.

À force de scruter le quotidien au plus près, Joanne Morency aiguise nos sens et nous convie à l’exploration de tous ces instants qui nous habitent. Elle nous donne le monde à recréer à la mesure de notre réalité.

Dans son discours lors de l’obtention du prix de poésie L.A. Finances à Paris, l’écrivaine souhaitait « que la poésie continue d’ouvrir un sentier vers l’âme, en ce siècle où l’immense flot d’information technique se doit de céder la place, et ce, de plus en plus, à la respiration de l’indicible. »

Grâce à des poètes comme Joanne Morency, je parcours le monde en ces lieux menant au cœur des mots qui illuminent, émeuvent, soignent et soulèvent l’âme. La poésie de Joanne Morency fréquente les sentiers qu’empruntent les humains au quotidien. Elle m’invite à faire bon ménage avec le monde qui m’entoure.

Miettes de moi et Le cri des glaciers voyagent bien dans mon sac à dos car en tous lieux le pays du naturel et le pays de la poésie de cette grande écrivaine composent un mariage parfait.

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