Lettre vagabonde – 14 avril 2004
Salut Urgel,
Si je peux vendre des livres usagés au profit de la bibliothèque publique, je peux bien accepter de participer au Salon du livre d’Edmundston. A la demande de Jocelyne Lebel, j’accepte de me joindre à une table ronde ayant pour thème « Les éditions en Acadie. » Les éditeurs sont représentés par
Marguerite Maillet de Bouton d’or d’Acadie, les écrivains par Rino Morin Rossignol, poète et éditorialiste. Alain Leblanc de Matulu à Edmundston représente les libraires. Je suis censée représenter les lecteurs et les lectrices. La modératrice du groupe est le professeur d’université, Marie-Elisa Ferran.
Dès le début, le débat suscite des réflexions, des arguments et des controverses. Je constate vite que les autres participants sont peu informés
des politiques et des modalités d’achats des livres dans les bibliothèques scolaires du Nouveau-Brunswick. Je laisse tomber trop vite mon chapeau de lectrice pour remettre celui d’enseignante et celui de conseillère à l’occasion auprès du ministère de l’Education du Nouveau-Brunswick en matière de littérature jeunesse. Les éditeurs, auteurs et libraires semblent cibler prioritairement les bibliothèques scolaires pour la visibilité et l’accès aux oeuvres littéraires acadiennes. Chaque éditeur veut voir ses publications sur les rayons des bibliothèques scolaires. Les auteurs souhaitent retrouver des copies de leurs oeuvres dans les bibliothèques de leur région au moins. Le seul libraire présent s’essouffle à retourner le livre littéraire non vendu pour commander sur demande le dernier cri que proclament haut les médias. On n’en a que pour les livres à sensations ou à scandale genre « Lady Di » vue par son majordome. » Les médias sont dans le commerce du livre et pas nécessairement dans la littérature.
Le point crucial au centre de ce débat aurait dû être: « Qui lit au Nouveau-Brunswick? » Comment rendre le livre accessible aux lecteurs ? Après tout, on ne peut pas installer une boucherie porcine dans un quartier juif ou une boutique de robes de mariée dans un foyer pour personnes âgées et s’attendre à faire des affaires. Rien ne sert de placer sur les rayons de bibliothèques scolaires toutes les publications d’auteurs d’origine acadienne et néo-brunswickoise si ces oeuvres ne s’adressent pas à cette clientèle.
Mais qui donc lit? Un éditeur affirme catégoriquement que les élèves ne savent ni lire ni écrire. Il ne doit pas être loin de la dépression avec tout ce qu’il publie. Je m’amuse à répondre à ma propre question. D’abord les principaux lecteurs adultes sont en fait des lectrices, âgées de vingt-cinq à cinquante-cinq ans. On n’en retrouve qu’un petit nombre dans les écoles. Les jeunes de six à douze ans sont aussi de grands lecteurs là où les circonstances le permettent comme dirait l’autre. A part Bouton d’or d’Acadie, qui publie pour ce groupe d’âge en Acadie? On garnit peu de rayons de bibliothèque avec ces volumes.
Où donc les enfants de six à douze ans et les femmes de vingt-cinq ans à cinquante-cinq ans prennent-ils leurs livres? La majorité fréquente les bibliothèques scolaires ou publiques. De nombreux commerces vendent de la marchandise imprimée sans distinction aucune. Les librairies présentent une valeur sûre mais elles sont si rares et si peu fréquentées. Ce n’est pas dans nos mœurs encore. Il reste les salons du livre tel celui d’Edmundston. Voilà l’occasion rêvée de baigner dans les livres, de rencontrer les éditeurs et de connaître des auteurs. C’est l’endroit idéal pour choisir ses lectures. Choisir nos lectures, voilà un droit imprescriptible. L’éminent spécialiste dans le domaine, Daniel Pennac le dit.
Si on demande aux écoles d’acheter tout ce qui se publie chez les éditeurs acadiens, on fait fausse route. Tout n’est pas écrit pour tous les niveaux d’âge.
D’ailleurs il existe au Canada un service d’évaluation des livres francophones accessible en version imprimée et en CD ROM intitulée Services documentaires multimédias. On informe de la valeur d’un volume, son utilité et le public cible. Trente mille nouveaux titres sont répertoriés chaque année. Tout ce qui se publie n’est point de qualité impeccable quant à la présentation. Tous les auteurs ne sont pas forcément des écrivains. Il est de ces pages où j’ai beau renifler, je n’arrive pas à sentir la littérature dans l’écriture.
En Acadie comme ailleurs, le livre a surtout besoin de visibilité. Sortons-le au grand jour lors d’émissions littéraires à la radio et à la télévision. Accueillons dans les écoles et les bibliothèques publiques les ambassadeurs du livre tels Guy Nadon, Dominique Demers, Marie-Danielle Croteau, Rino Morin Rossignol
et d’autres poètes et romanciers qui sont prêts à faire la tournée des écoles et des salons du livre.Un écrivain dans l’école fait drôlement vivre un livre sur le rayon.
Les enfants lisent et les adultes lisent là où il y a des livres, de l’animation, des écrivains, des modèles à suivre et la passion des mots. Il suffit d’alimenter l’univers littéraire en tant que partenaire indispensable à la survie de la culture. Au Nouveau-Brunswick, les bibliothèques ont littéralement ressuscité un bon jour sous la direction de Cécile Ouellet, conseillère en moyens d’enseignement au ministère de l’Education. Depuis, des projets occasionnels tentent d’assurer la survie des bibliothèques scolaires et publiques. Jocelyne Lebel, par son implication au Salon du livre d’Edmundston est une ambassadrice de la promotion du livre. Marie-Paule Beaulieu, une enseignante ouvre si grand l’appétit de lire de ses élèves qu’ils deviennent des livromaniaques. Je pourrais en ajouter à la liste.
Je te quitte sur une citation de Daniel Pennac: « … ce que nous avons lu de plus beau, c’est le plus souvent à un être cher que nous le devons. Et c’est à un être cher que nous en parlerons d’abord. Peut-être, justement, parce que le propre du sentiment, comme du désir de lire consiste à préférer. »
Ah oui, au Salon du livre, j’ai rencontré Hélène Harbec, ai acheté son tout dernier « Les voiliers blancs » que j’ai dévoré en moins d’une journée. Marc Arseneau m’a dédicacé « Avec l’idée de l’écho. » Je suis repartie avec deux Martine L. Jacquot dont « Des oiseaux dans la tête. » La littérature acadienne, moi j’ai un petit creux pour ça, mais je choisis copieusement mon menu.
la livromaniaque
Alvina