Lettre vagabonde – le 15 décembre 2004
Salut Urgel,
Il y a des écrivains et des artistes peintres qui entrent chez moi par la grande porte de l’émerveillement. Pour certains, je souhaiterais qu’ils ne repartent jamais. Mes connaissances en art sont limitées mais quand j’ai découvert dans la revue « Art le Sabord » l’artiste peintre Sean Rudman, j’ai su qu’il occuperait une place de choix.
Je parle souvent des écrivains qui me marquent, mais des artistes peintres, rarement. Pourtant plusieurs ont exercé une profonde influence sur moi et persistent à m’habiter de leurs œuvres et de leur vécu. J’ai profité d’un voyage à Ottawa pour me rendre à la galerie St-Laurent & Hill où se trouvaient des tableaux de Sean Rudman. Le directeur de la galerie m’a invitée à le suivre dans l’entrepôt au sous-sol. D’une rangée de toiles, il a retiré quatre œuvres de l’artiste. Il les a installées en pleine lumière et m’a laissée là en m’invitant à prendre mon temps. J’ignore ce qui est arrivé au temps ce matin-là; il a été je crois happé par les toiles et moi par leur luminosité.
Depuis ce jour, je suis encore plus intensément imprégnée des œuvres de Sean Rudman. Il me fallait lui communiquer mon engouement. La chance a voulu que le poète Guy Marchamps me remettre son adresse. Je lui ai écrit. Il m’a répondu en incluant une invitation au vernissage à la galerie Lacerte le 13 novembre à Québec. Je m’y suis rendue le 4 décembre. Une trentaine de tableaux m’ont permis de pénétrer à fond en l’univers créé par Sean Rudman. Des œuvres aux sujets poignants et personnels où on retrouve sa fille Sarah qui repose dans son lit à hôpital Sainte-Justine. Les thèmes proviennent de son quotidien mais la facture recèle une part de mystère au-delà de la reproduction du réel. Je n’ai pas la prétention d’analyser l’œuvre de Rudman. L’important est d’arriver à retirer de la création des autres ce qui me fait vibrer, qui élargit mon horizon, me transforme et me réconcilie avec les contradictions en ce monde. J’arrive parfois à un degré de contemplation où les mots ne sont pas nécessaires. Le langage de l’art n’a nul besoin de vocabulaire pour transmettre son sens et sa sensibilité. Le génie du créateur, n’est-ce pas de communiquer aux autres ce qu’ils ont à découvrir d’eux-mêmes, leur révéler une part de leur mystère?
Le critique Michel Bois écrivait dans « Le Soleil » à propos de Rudman : « Ainsi Rudman brouille-t-il les pistes tout en s’amusant à accentuer le déplacement du regard par la multiplicité des points de vue. » Je crois que j’ai profité de la liberté qu’offre l’artiste de pénétrer dans le tableau par une des ses multiples ouvertures. Ses toiles sont accueillantes. Il peint le cœur ouvert, l’âme imbibée de lumière, l’inachevé de la vie. Je perçois un continuel mouvement dans les couleurs, les formes et son interprétation de l’univers. Tout est sujet à évocation, incite à rêver et à inspirer.
Lorsque tu passeras à Québec durant les fêtes, va faire un tour à la galerie Madeleine Lacerte. Même si l’exposition est terminée, il est possible de voir les tableaux montés sur de grands panneaux coulissants. Tu y reconnaîtras peut-être une dimension de toi et qui sait, à travers une nature lumineuse intense, tu apercevras qu’il s’est glissé une petite ombre qui me rejoint.
Alvina