Lettre vagabonde – 24 janvier 2007
Bonjour Urgel,
Il existe de ces livres d’une rare beauté, des livres lumineux. Des œuvres littéraires à conserver bien en vue tels des tableaux célèbres, marqueurs du temps, témoin de l’humanité. Le dernier roman d’Andreï Makine, L’amour humain est une œuvre d’une portée considérable. Ce livre m’a autant remuée que La porte de Magda Szabó. Il est de ces livres qui une fois refermés, reviennent sans cesse modifier l’être que nous sommes.
L’amour humain raconte la vie d’Elias Almeida, l’Angolais en quête de liberté, de justice, d’amour et d’un guignon de paix pour nourrir l’espoir. Andreï Makine nous conduit dans les camps de formation des révolutionnaires, à plain-pied dans les révolutions en sillonnant Moscou, la Sibérie, Cuba et le continent africain. Le parcours écrase les rêves des uns sous les ambitions des autres.
À l’époque où les Russes et les Américains extirpaient le pétrole, les diamants et la chair fraîche des pays assujettis aux puissances extérieures, Elias sentait qu’il arriverait à faire une différence. Il y croyait dur comme fer la nuit au côté d’Ernesto Guevera sous le ciel étoilé de Cuba. Porté par l’amour ou du moins son souvenir, Elias continuera sa quête.
Tu crois que L’amour humain est une histoire politique? Andreï Makine te porte à y croire quand il résume ainsi l’état du monde. « Ce délirant écheveau des affaires du monde, l’énergie de milliers d’hommes qui s’affrontent, complotent, vendent des richesses incalculables, entassent des milliards sur des comptes secrets, courtisent leurs adversaires s’entre dévorent avec leurs alliés, entraînent leurs pays dans de longues années de guerre, affament des régions entières… » Peut-être penses-tu avoir affaire à une histoire d’amour? Là encore, Makine te donnerait probablement raison. Il écrit : nous nous rendons compte qu’il y a eu dans notre vie quelques heures de soleil et de nuit, quelques visages auxquels nous revenons sans cesse, et qu’en fait ce qui nous rendait vivants, c’est le simple espoir de les retrouver… » Ou encore d’une manière plus explicite il fait dire à Elias : « Je veux que ma mère soit assise, le soir, sur le seuil de notre maison, je veux cacher mon visage dans le creux de son coude. »
Tant qu’il y aura du pétrole, des diamants et de la chair à marchander, la tyrannie et les armes proliféreront. Le sang coulera comme le pétrole. Tant qu’il y aura de l’amour, des êtres pour en aimer d’autres, il existera une force capable de résister à l’oppression qui entrave le droit à la vie. Tel est le message d’Elias Almeida qui porte au plus fort de lui ce que l’on croirait perdu : l’enfant aimé de sa mère et l’amoureux d’Anna de Sibérie.
Andreï Makine laisse Elias Almeida raconter l’Histoire en un seul volume, conjuguer la mémoire à tous les temps au cours d’une seule vie. Roman brutal et émouvant. L’auteur laisse une part au rêve autant qu’à la réalité. Dans un style incomparable, reconnu par des prix littéraires, Makine avait déjà livré Le testament français, La musique d’une vie, La femme qui attendait. L’amour humain est de cette trempe exceptionnelle. Et que vous avez raison. Andreï Makine de dire : « Oui, il faudrait une foi qui balaye, en nous, le petit insecte grésillant, cette petite mouche de la peur de mourir. Mais surtout, il faudrait savoir aimer. Tout simplement aimer. »
Je viens de lire un long poème qui révèle le battement du monde dans l’humble histoire « d’un nègre qui a naïvement lutté pour un monde meilleur, a aimé sans succès, disparu sans bruit. » Communique immédiatement avec ton libraire. Il te faut L’amour humain.
En toute amitié
Alvina