L’éphémère et le durable chez Rachel Leclerc

Lettre vagabonde – 8 janvier 2021

La poésie offre ses multiples visages au fil des relectures. Elle est passible de plusieurs vies en sa source inépuisable de sens et de sensitivité. La relecture peut
ajouter une révélation qui nous avait échappé ou se départir d’une conception initiale. En relisant l’œuvre poétique de Rachel Leclerc, j’ai eu l’impression de remonter le courant et d’en reconnaître enfin son fondement. La transparence s’est accrue, d’autres images se sont révélées.

Le chemin qu’emprunte la plupart des œuvres de Rachel Leclerc semble relever du dualisme entre l’éphémère et le durable. Entre vivre en errance ou vivre en appartenance. « La saison avance sans abolir au creux des membres un territoire qui s’ébauche. Et je songe : la demeure est aussi la distance qu’il fallait parcourir pour s’en séparer », lit-on dans Les vies frontalières. Ou encore dans ce même recueil, « Nous sommes aussi cela : la destinée des choses concrètes, le pourrissement au cœur de la pomme, le défilé des satellites entre les étoiles, le songe soutenu des massifs au déclin du jour. » Les poèmes parcourent ce territoire de fossiles, montagnes, fleuve et mer tout en guettant l’imposture du temporaire, de l’instantanée.

On chemine sur une poésie de la mouvance, des lieux d’apparition et de disparition, de déracinements et de déroutes. « Ici j’inscris la demeure et la distance en tout ce qui passe. » La vie est jalonnée d’habitable et d’inhabitable. Dans Rabatteurs d’étoiles, l’autrice écrit : « On cessa de compter les départs / c’était le même effondrement / les mêmes bagages / refaits toujours avec la même confiance. »

Le recueil Demains poursuit cette quête d’un monde hospitalier au contact des lieux et des mots qui le désignent et le perpétuent. « Vous ne mendiez qu’un peu de lumière / et le droit de vivre dans l’héritage universel. » Un héritage que s’arrogent les intrus. « On aime l’éphémère / on réduit le durable / sois l’abri, le séjour.

Rachel Leclerc balise les sentiers de la mémoire, tente d’éclairer ses parts d’ombres et retenir ce qui se nomme appartenance. Sa poésie incite à ériger autour de nous un avenir où loger les rêves et la réalité. « Danse et demeure /
on ne pourra pas tout détruire », me paraît porteur d’espoir. Si nous n’y prenons garde, nous vivrons en exil et en étranger en notre propre demeure. Et si la poésie détenait ce pouvoir d’accéder à ce lieu de nos passages et de nos pensées ?

 

2 commentaires

  1. S’il est une chose que la pandémie m’aura apportée, c’est ce besoin de me tourner vers la poésie… j’ai fait de belles découvertes ces derniers mois, tant en poésie contemporaine que classique, poètes d’ici et d’ailleurs. Lire de la poésie m’apporte un bien-être autre que celui de la lecture de romans. Merci pour cette belle chronique! J’ajoute Rachel Leclerc à ma liste de poètes à découvrir.

  2. Les visages de la poésie ne sont pas toujours lumineux, un poème touche qui veut, la relecture est pour la plupart nécessaire pour que naissent l’émotion, la beauté, le goût de poursuivre. Que dire d’un recueil où les mots sont nombreux à s’épivarder dans des sens souvent inédits, parfois stratosphériques ou inopinés. J’en lis peu restant hébété de ce que l’auteur ou l’autrice ont mis sur une page à peine encrée. Je retiens relecture.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *