Des traces de 2008

Lettre vagabonde – 7 janvier 2009

                         

                 
            

Chère Brigitte,

Depuis l’entrée de 2009 par la porte ouverte du temps, tout un chacun jette un regard à la fenêtre de 2008. Les analystes se chargent de transmettre les comptes rendus de son influence et ses conséquences au niveau de la planète. Chaque individu jauge le contenu de l’an passé en idées, en valeurs, en gains et en pertes. On dirait que chaque année nous apporte un colis à déballer sur douze mois. Si certaines matières sont retenues et absorbées, d’autres sont rejetées dans l’oubli ou abandonnées à l’indifférence. Quelle fut ta part d’héritage de 2008 ? Un bilan de notre année peut servir de tremplin à la prochaine.

C’est en regardant derrière que les choses apparaissent et se révèlent à nous. La vie est peuplée d’arrière-vies. Alain Rémond écrit : « On regarde en arrière, et soudain apparaît comme une évidence quelque chose que, jusqu’ici, on n’avait pas vu. » Le monde se donne à voir et à saisir à travers les mots pour le nommer et les images pour le retenir. Mes yeux ont parcouru plus de cent livres dont une vingtaine m’ont profondément marquée.  Passions d’Annie Leclerc  de Nancy Huston et Thérèse pour joie et orchestre d’Hélène Monette ont ravivé la présence de ceux qui ne sont plus, la force des liens qui ne meurent pas. Ce sont deux livres majeurs imprégnés de la magie des relations humaines. Ceci est mon corps de Jean-François Beauchemin et de Serge Patrice Thibodeau ont saisi la part du mythe et de la légende dans la fabrication de héros. Les deux écrivains démontrent la complexité des rapports humains. Les disparus de Daniel Mendelsohn et Le rapport Brodeck de Philippe Claudel témoignent de la violence et de la cruauté que des individus exercent sur les autres au cours de l’histoire qui se répète. Deux romans d’une frappante actualité si on regarde ce qui se passe autour de nous. Je pense à cette jeune Somalienne de treize ans, Aisha Ibrahim Duhulow lapidée par cinquante hommes dans un stade devant un millier de spectateurs. C’était en octobre 2008. Elle avait osé dénoncer ses trois violeurs. Les romans nous rapprochent de la vraie vie. Ma biographie préférée de l’année : Van Gogh par Haziot. Aucun biographe n’avait scruté l’univers de Vincent avec autant de recherches et de perspicacité.

J’ai découvert trois auteurs qui m’ont transmis leur énergie vitale, tous des modèles de détermination, de courage et de curiosité. Bertrand Ollivier a rapporté en trois volumes son périple à pied de Dohoubayezit en Turquie jusqu’à XI’an en Chine. La longue marche nous donne à le suivre sur 11 000 kilomètres. Bernard Ollivier affirme, « La marche freine cette course à la mort que l’on confond avec la vie qui s’est emparée de nos sociétés dites civilisées. » Sylvain Tesson, l’intrépide enjoué, le penseur vagabond, m’a captivée avec ses récits de voyage dont Éloge de l’énergie vagabonde et L’Axe du loup. Dans le premier récit, il conclut : « Aujourd’hui, la course aux réserves énergétiques a remplacé la conquête géographique. On ne prépare plus les guerres penchés au-dessus des cartes mais des relevés géologiques. » Dans son Petit traité sur l’immensité du monde, j’aime bien cette parole de sagesse de Sylvain Tesson : « Vivre, c’est faire de ses rêves un souvenir. » Kenneth White, le poète philosophe, m’a conduite vers la géopoétique, une manière d’habiter poétiquement la terre. Rebecca Solnit a fait l’éloge de la marche dans deux œuvres qui méritent d’être lues : A Field Guide to getting lost et L’art de marcher. Elle nous présente les grands marcheurs de toutes les époques. De bons guides autant pour les marcheurs sportifs que les marcheurs contemplatifs. Un roman coup de foudre a été Mister Pip de Lloyd Jones. Il confirme à lui seul le pouvoir de la littérature sur nos vies. Des enfants ont réussi à survivre aux pires atrocités grâce à un roman de Charles Dickens.

La marche a occupé une grande place en 2008. J’ai entrepris le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle. L’impact fut considérable. Je m’accorde avec Sylvie Germain qui déclare : « Les chemins ont une vie, ils ont une histoire et un destin, comme les hommes. […] Et ils ont un cœur qui bat, tout résonnant du pas des marcheurs qui les foulent. » Trente-six jours de marche m’ont permis de traverser vingt nations de relations humaines, côtoyer l’histoire et les coutumes des Espagnols, retrouver la simplicité et reconnaître sur le chemin une autre moi-même. Un petit livre de Joël Vernet de 56 grammes a donné de l’assurance à mes pas et de la ferveur à mes rêves.

Deux événements annuels nourrissent ma passion de lecture et d’écriture. Le Festival Frye de Moncton accueillait Alberto Manguel et Nancy Huston, deux grandes figures de la littérature. Leurs idées ajoutent de la vigueur et de la vitalité à l’univers littéraire. Le Festival Northrop Frye est un incontournable rendez-vous de réflexions et de courants nouveaux dans le monde des mots. Chaque année, le village d’Eastman accueille le Festival de la Correspondance. Les mordus de l’épistolaire se retrouvent parmi des écrivains, des artistes qui font l’éloge des mots et de la correspondance par voie postale. Ce moyen de communication se marie bien avec la lenteur de la marche. Les deux intensifient les liens que nous entretenons avec les êtres et la nature.

Des incidents banals autant que les grands événements ont laissé des traces. J’ai tenté de saisir dans ce qui passe, la beauté du moment, la richesse d’une rencontre. Chaque année nous apporte ses imprévus. Je te quitte sur une réflexion de Pierre Bertrand, « C’est parce que chaque chose n’arrive qu’une fois, la première et la dernière, comme la vie, tout entière qu’elle s’avère si précieuse et que tout le sens disponible se concentre sur elle. » Profite bien de chaque chose qui n’arrive qu’une fois au cours de 2009.

Amitiés,

Alvina

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