Lettre vagabonde – 14 novembre 2007
Bonjour Urgel,
Je constate que les fenêtres jouent un rôle important dans notre vie. Si tu es comme moi, le premier coup d’œil à ton lever se dirige automatiquement vers la fenêtre de ta chambre. La journée se mesure par le temps qu’il fait là, au bout du nez. Pointer les yeux vers le ciel puis au sol, repère non seulement le temps qu’il fait mais donne le ton au moral et prend le pouls de la journée.
Trop de gens ont à travailler en des lieux sans fenêtres. Les bureaux isolés entre des murs, de longs corridors et des salles de réunion, sans ouvertures, s’éclairent au néon. À la longue, c’est nuisible pour la santé physique et mentale. Les écoles sont souvent dotées de rares fenêtres hautes et étroites. J’ai lu quelque part, que les architectes se basaient sur les conclusions d’un expert ayant prouvé le danger des fenêtres dans les salles de classe. Selon lui, les distractions entrent par les fenêtres. L’absence de fenêtres enfermerait l’esprit à l’intérieur. Les grands magasins ont rarement d’ouvertures, les usines non plus. Dans des villes comme Montréal, des milliers de personnes travaillent sous terre. Ils ne voient pas la lumière du jour. Dès le changement d’heure à l’automne, la nuit tombe tôt et l’aube traîne la patte. Des adultes ne voient pas la lumière naturelle durant des mois car ils travaillent dans des endroits sans fenêtres.
As-tu réalisé combien de fois tu regardes par les fenêtres durant la journée? Elles t’offrent des tableaux variés, des décors changeants. Quand on demeure à la campagne, chaque fenêtre possède en quelque sorte son paysage. De ma chambre, les grands conifères en imposent au ciel autant qu’à la terre. Les étoiles se cachent derrière. Les fenêtres du salon donnent sur les mangeoires d’oiseaux. Un spectacle très animé. J’ai le temps de jeter de fréquents regards par chaque fenêtre. Elles donnent sur le monde; elle donne tout court. J’y grappille des rêveries, une idée et beaucoup de lumière. Les fenêtres donnent sur la liberté, surtout si elles s’ouvrent toutes grandes. Il m’arrive de m’asseoir à la fenêtre si j’attends quelqu’un. Le bonheur de voir apparaître ceux qu’on aime passe par la fenêtre avant de passer par la porte.
Les artistes de toutes les époques ont créé des fenêtres célèbres. La rosace de Notre-Dame de Paris suscite l’admiration des visiteurs. Les grandes cathédrales possèdent des vitraux splendides. Que ce soit de grandes verrières, une petite lucarne, un hublot ou une fenêtre de la maison, c’est souvent à travers ces vitres que le monde nous arrive et nous transforme.
Gabrielle Roy a reconnu l’appel à l’écriture par la fenêtre du grenier de la demeure familiale. Elle le raconte ainsi : « Et voici que ce soir-là, comme je me penchais par la petite fenêtre du grenier et vers le cri des étangs proches, m’apparurent, si l’on peut dire qu’ils apparaissent, ces immenses pays sombres que le temps ouvre devant nous. Oui, tel était le pays qui s’ouvrait devant moi, immense, rien qu’à moi et cependant tout entier à découvrir. – [ ] – je devais écrire. »
Madeleine Gagnon s’est fait « la promesse solennelle » d’écrire, à douze ans, dans son lit, sous la lucarne. Mallarmé chante les louanges de « l’horizon de lumière gorgée » dans son poème Les fenêtres.
Des souvenirs et des rêves fous entrent par la fenêtre. Sa lumière nous amène peut-être à voir ce qu’autrement, les façades opaques maintiendraient dans l’ombre. Ça manque peut-être aux humains, ce long regard libre vers l’autre part de la vie qui ne se perçoit bien qu’en pleine lumière s’infiltrant par la fenêtre. Mais à bien y penser Urgel, de ta fenêtre à Kuujjuaq, il fait nuit encore bien après ton lever. Tiens, je te plains un peu. Je t’envoie donc avec ces mots, un sommet de montagne, une procession de conifères, les frissons de la rivière tels que je les observe ce matin de la lucarne de la tourelle.
Amitiés,
Alvina