Un tour en ville

Lettre vagabonde – 12 mars 2003

Cher Urgel,

Montréal s’était paré d’un début mars tout en ébats et en émois pour notre arrivée. D’immenses flocons blancs nous transformèrent en bonnes femmes de neige dès notre première sortie. Sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame, on avait l’allure de statues en fuite. En face, les calèches sortaient directement d’un tableau de Krieghoff. Des fantômes de clochers et de gratte-ciel hantaient la voûte blanchâtre.

Le lendemain, un froid arctique s’attaque aux citadins. Des jambes ou plutôt des pantalons au vent soutenaient péniblement deux rondelles d’yeux traversées d’une lisière de chair à peine visible. Des pas pressés fonçaient vers les portes de métro. J’avais l’impression de plonger dans une piscine non chauffée en plein janvier. Moi qui vante la marche dans la métropole, j’ai vite visé une bouche de métro. À la sortie Sherbrooke, le marathon reprend. À chacun sa ligne de départ et sa ligne d’arrivée. Les flâneurs se font rares. Les pressés passent, dépassent et s’agitent aux feux rouges. Marcher vite, courir un peu, ne s’arrêter que par obligation.

Le lendemain, le temps est plus clément. Je parcours en l’agréable compagnie des flâneuses la rue Saint-Laurent, la rue Saint-Denis et le Plateau Mont-Royal. Un arrêt prolongé à la Librairie du Square où Françoise Careil se révèle une libraire accueillante, érudite et bonne conseillère. Tant d’auteurs s’entassent sur les tables et les rayons. Je furète des yeux et des mains, avide de retrouver de vieilles connaissances ou de rencontrer de nouveaux venus. En bonne hôtesse, Françoise Careil fait les présentations. À causes d’atomes crochus je suppose, je sortirai bras dessous bras dessus avec deux parfaits inconnus : Laurie Colwin et Dezsö Kostolányi cette fois-ci. Des êtres chers me surprennent encore. Nina Berberova en direct d’outre-tombe me fait cadeau de « Le Cap des tempêtes.»  Nancy Huston me révèle avec un peu de retard son « Journal de création.» Ella Maillart accepte enfin de me raconter sa vie avec « Croisières et caravanes. » Les réguliers sont invités ipso facto à m’accompagner : Annie Ernaux, Timothey Findley, Alberto Manguel, Marie Tsvétaeva, Jérôme Garcin et Karen Blixen. Monique Durand que j’avais entrevue déjà me raccompagne avec « La femme du peintre. »

La Librairie du Square est fréquentée aussi par des écrivains en chair et en os. Les habitués. Je salue Dany Laferrière tandis que la libraire me parle de la dernière visite du livromaniaque Robert Lalonde. Tandis que je prenais les dernières nouvelles des auteurs, Suzanne et Marie-Claire en invitaient d’autres à nous suivre. Nous avons quitté les lieux en délégation. Les auteurs fermaient la marche recouverts et bien au chaud dans nos sacs à dos.

Montréal se découvre à pied. Son histoire se dévoile pas à pas. Marcher sur Saint-Hubert et admirer les escaliers en fer forgé. Les maisons portées par les rues Saint-André et Saint-Denis témoignent de plusieurs siècles d’architecture. Le quartier chinois étonne et dépayse avec ses vitrines remplies de mots et produits asiatiques. Les restaurants servent un tour du monde sous les enseignes de toutes les nations. La marche permet de s’infiltrer parmi les gens, de ressentir la vie qui respire, qui transpire, la vie qu’on mène et celle qui se démène. Les haillons côtoient la haute couture. Ils se croisent puis se perdent au fond de leurs quartiers et de leurs habitudes. Visiteurs et travailleurs se frôlent à peine du bout de leurs mœurs et du coin d’un regard. Aussi effacée et discrète que puisse être chaque rencontre, la diversité des métiers d’un coin de rue à l’autre révèle les multiples visages de la cité. Toutes les différences du monde s’engouffrent en un labyrinthe où se déploient et se dévoilent les uns, où se terrent et disparaissent les autres.

À Montréal, je m’approvisionne de culture sous forme de littérature, d’art et de cinéma. Je m’intègre à la mouvance de la foule et tâte le pouls de l’ailleurs. Mais je ne voudrais point y installer mes pénates. Je préfère regagner l’espace et l’air pur. Les battements de cœur sont moins rapides. Les sourires et les regards prennent le temps de s’offrir aux autres.

Urgel, lors de ta prochaine escale à Montréal, pousse la porte de la Librairie du Square au 3453 Saint-Denis, juste en face du Carré Saint-Louis. Ouvre l’œil. Tends la main. N’hésite pas. C’est tout plein de monde là-dedans. En sortant, juste à côté, un café, les Gâteries te projettera dans l’univers des mots. Entre les arômes de café, les volutes de fumée, les tables solides et lisses, tu écouteras le glissement et les ratures des stylos sur les feuilles. Des voix, sur le ton de la confidence, respectent les lieux. C’est le rendez-vous des écrivains comme Dany Laferrière et Robert Lalonde. Les autres, semblables à nous autres s’y arrêtent pour tremper la plume dans l’ambiance et la glisser sur l’imaginaire.

Quelques suggestions de films Urgel? « Les heures », « Le Pianiste » et « Parle avec elle » sont des incontournables. D’autres livresques escapades? La librairie Olivieri de la Côte-des-Neiges où l’ancienne libraire de chez Blais à Rimouski te recevra avec toute son expertise. Au 3700 Saint-Laurent, la Librairie Gallimard contient des trésors. Tu en viendras à bouder ta grande surface impersonnelle de Renaud-Bray.  Si tu as un petit creux, on mange bien pour pas cher au Porté Disparu, au 957 du Mont-Royal. Des livres usagés sillonnent un mur. C’est l’endroit des rendez-vous, des tête-à-tête autant que des tables pleines. Tu cherches un bon endroit où loger? Le chaleureux petit hôtel le Manoir des Alpes t’offre une chambre d’une propreté impeccable, un petit-déjeuner à volonté et le stationnement gratuit. C’est à proximité d’une bouche de métro et tout près de Saint-Denis.

Tu veux une lecture minute à réfléchir durant une heure? Lis la chronique de Josée Blanchette dans le Châtelaine d’avril. Elle sait capter l’essentiel celle-là. Merci pour les mots chaleureux tout en amitié à l’occasion de la Journée des femmes. Les hommes comme toi ne courent pas les rues Urgel.

Amitiés,

Alvina

 

1 commentaire

  1. Chère Alvina,
    Montréal en mars nous l’avons connu ensemble en 2018 en bonne compagnie, nous avions répété un trajet à peu près semblable à celui que tu décris dans ta lettre, nos librairies ont été Le Port de tête sur l’avenue Mont-Royal et Bonheur d’occasion qui s’est transformée en librairie en ligne depuis selon un article du Journal Le Devoir : https://bit.ly/3bpjJoB, journal où l’on retrouve hebdomadairement l’une de tes chroniqueuses favorites, Josée Blanchette : https://bit.ly/2OylOpz.
    Ta lettre donne le goût de reprendre la route vers Montréal si ce n’était de la pandémie qui transforme la région en zone rouge pour encore un bout, donc à éviter pour le moment. Ce fut un privilège d’avoir pu vous accompagner et passé quelques heures dans un bain de culture en allant au théâtre à trois reprises, en partageant nos découvertes et sentiments au cours de nos déplacements, train, métro, taxis, uber, il est vrai que notre groupe était de très agréable compagnie et que ta nièce avait su nous loger et assurer certaines modalités du transport, une pro en ce domaine et d’une grande douceur, elle porte bien son nom. Nous avions badaudé dans le quartier chinois pendant un moment, tâté les stylos-plumes de la boutique Stylo Victoria du boulevard St-Laurent et casser la croûte chez Nouilles de Lan Zhou après que tu te sois mise à converser avec une passante croisée par hasard, que d’entregent et d’urbanité t’habitent.
    On devait récidiver en 2020 à Québec mais le groupe a dû y renoncer à la dernière minute pour des raisons de consignes gouvernementales à propos de confinement.

    En fin, je récidive de mots chaleureux à ton égard en cette journée internationale des droits de la femme qui sans elles le chaos s’installe. Un énorme merci pour la confiance que tu m’as accordée dans nos échanges et nos randonnées, nos voyages aussi, merci pour cette amitié qui nous tient à cœur depuis des années. Bonne continuité.

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