De rêves et d’altitudes

Lettre vagabonde – 9 février 2019

 

Instinct de survie est une puissante histoire vraie d’un alpiniste qui a atteint des sommets parmi les plus élevés du monde. L’auteur Gabriel Filippi assouvit sa passion débordante et nourrit ses rêves démesurés. Au risque de sa vie, il gravit des parois rocheuses escarpées d’une altitude allant jusqu’à 8 850 mètres. Il vise en même temps un autre exploit remarquable : atteindre les profondeurs de l’âme humaine. Les deux défis menés de front exigent une discipline de haut niveau et une confiance absolue en ses semblables.  Instinct de survie nous dévoile des montagnes majestueuses. Il nous encourage à affronter les écueils redoutables de l’existence.

Rien ne disposait le jeune Gabriel à choisir la voie de l’alpinisme. Comme ses neufs frères et sœurs, il a subi les emportements d’un père violent et colérique. Comme eux, il a joui du plein air et de l’insouciance de l’enfance. Il deviendra contrôleur au vol dans les aéroports de Sept Îles et de Radisson. C’est lors d’un voyage en Colombie qu’une première ascension déterminera la trajectoire de sa vie.

Gabriel Filippi n’est pas de la trempe de ces aventuriers en quête de records et de célébrité. Il tient plutôt du tempérament d’une Stéphanie Bodet, animé par sa passion et stimulé par les liens avec ses semblables. Le récit s’ouvre sur le camp de base de l’Everest. Alpiniste accompli déjà, il pose sa tente parmi les 800 qui s’étendent sur un kilomètre sur le flanc népalais. Des centaines de grimpeurs attendent leur tour au bas de l’échelle. C’est alors que surgit un danger redoutable et inattendu. Un tremblement de terre dévastateur fauchera des vies au camp ainsi qu’au village au bas de la montagne. Séismes et avalanches guettent les grimpeurs mais également vents, crevasses, parois raides et friables, arêtes acérées et ponts de glace. En plus des éléments, les œdèmes pulmonaires, le manque d’oxygène, l’épuisement et les AVC font des victimes. Gabriel Filippi souffrira d’œdèmes pulmonaires et devra à quelques reprises abandonner l’aventure.

Gabriel Filippi est déchiré entre sa vie familiale et sa passion pour l’escalade. On lui reproche son obsession, son égoïsme et sa manie de jouer à la roulette russe. Il faut dire qu’un grimpeur sur cinq meurt sur le K2. Filippi est déchiré entre l’attrait pour la montagne et son amour envers les siens, l’angoisse qu’il provoque et ses aspirations. « La seule chose dont je ne pouvais me passer était le sentiment thérapeutique d’appartenance et j’appartenais à la montagne. », écrit-il. Rien ne l’arrête, même pas les centaines de cadavres accrochés aux parois, figés dans l’éternité.

Gabriel développe des liens solides d’amitié parmi les grimpeurs. Il deviendra l’ami d’un sherpa. Contrairement aux drapeaux des commanditaires et banderoles commerciales ornant les autres tentes, à celle de Filippi sont accrochées des drapeaux de prières. Il précède chaque montée d’une offrande, d’une pensée respectueuse envers les morts et de quelques rituels sacrés que lui a appris un sherpa. S’il s’indigne devant la pollution des lieux parsemés de bouteilles d’oxygène vides, de tentes abandonnées et d’équipements abimés, son esprit transcende la laideur. Il témoigne plutôt de la beauté du monde, de la magnificence d’un coucher de soleil observé à 8 000 mètres ou la bonté d’un geste fraternel.

Une nuit dans sa tente, il fera un rêve prémonitoire. Son intuition lui dicte de fuir un danger imminent. Il quittera le camp à l’aurore. Quelques heures plus tard, les talibans assassinèrent ceux demeurés sur place. À la suite de cette tragédie, un stress post-traumatique obsédera Filippi. Si l’alpiniste succombe à la furie des éléments ou à un malaise, il doit parfois sa vie sauve à un geste intuitif comme à son instinct.

Gabriel Filippi partage ses rêves fous, ses aventures hasardeuses au moyen d’une écriture intime et spontanée.
Il dépose en nous ce brin de folie nécessaire pour bâtir son destin comme l’a évoqué Marguerite Yourcenar.  Ses histoires nous enjoignent de vivre notre vie à la dimension de nos rêves et de nos capacités. Que ce soit des déplacements à l’horizontal ou à la verticale sur cette planète, ce sera toujours un pas devant l’autre, menant vers l’espace extérieur et intérieur. Ils sont nécessaires ces chemins parsemés d’incertitudes, de risques pour nous ramener à l’essentiel. « Je sais, dit Gabriel Filippi, que les humains réagissent au danger de trois façons : en luttant, en fuyant ou en étant paralysé. » Ce récit se veut un ajout à la trousse de survie, un attisé pour le rêve. Il éclaire le chemin que nous empruntons chaque jour pour aller vers nos aspirations et vers nos semblables. « Nous avons tous un territoire inexploré à découvrir. » dit l’auteur.

Ma nièce Sylvie m’a offert Instinct de survie après avoir assisté à une conférence donnée par l’auteur. Sa dédicace se lit ainsi : « Un pas à la fois ton Everest t’attend. » Une invitation à réaliser nos rêves, à s’extraire de nos habitudes et affronter les risques et les incertitudes. Le succès d’Instinct de survie est dû à l’esprit d’aventure d’un homme qui a su explorer à la fois les profondeurs du cœur humain et les plus hauts sommets du monde. Il nous laisse sur une faim de vivre et un regard émerveillé sur la beauté qui nous entoure. De quoi nous réconcilier avec  les aléas de la vie.

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