Lettre vagabonde – 21 janvier 2022
Il existe une poésie qui traverse les ombres, colmate les fissures, fusionne le visible et l’invisible, redonne au temps sa lenteur. Lorsque j’ouvre Doublure du monde de France Cayouette, je suis saisie par les images autant ressenties que perçues. Tout prend sens sans se soucier du réel. La poète favorise la symbiose entre la matière et sa part immatérielle. Tout lui fait signe, la sollicite. Elle y répond du tréfonds de l’âme. Une fine alchimie des sens et du sens des choses remonte et ébranle la vision familière, l’image habituelle. Le lien se tisse, la métamorphose s’accomplit. « Ta tasse vide / est une petite urne / avec vue ». Ou encore, « elle ne sait pas / à quel point tu t’affleures / à perte de vue en elle ».
Le verbe est généreux, le terreau fertile. Ce qu’il est donné d’y voir et d’entendre est de nature subtile issue de l’essence de toute chose. « Une nuée d’oiseaux / vient de glisser / sur la table vitrée / vous vous regardez longtemps / la chatte, le poème et toi ». On dirait un univers qui se crée à mesure que le poème s’écrit. Mon appartenance à cet univers m’est rendue, entière. Je tourne les pages délicatement, avec lenteur, pour ne pas perturber le rite de passage.
Des liens se manifestent sous l’observation pénétrante de l’écrivaine. « Des maisons, des objets du salon […] du pain, de la chaise de bois, du bol d’eau et de la tasse vide… » tout s’amalgame et se tient. Chez France, c’est l’âme qui aspire au sens caché de l’existence. François Cheng écrit, « Savoir qu’on a une âme, c’est porter une attention éveillée aux trésors qui peuvent s’offrir dans la grisaille des jours, laquelle s’exerce à tout ensevelir ». Ce sont ces précieuses pépites que recueille et rassemble la poète. La rencontre du jour et la nuit s’exprime ainsi : « Les maisons / trouent encore de noir / ce bleu de tous les bleus / qui s’avance ». On dirait un rendez-vous amical.
Doublure du monde appelle à vivre plus intensément, à se rapprocher de ce qui constitue l’essence même de la relation de l’être et de son territoire. Il n’est pas étonnant que le poète Charles Sagalane ait inséré dans son dernier ouvrage cet aveu de France, « La mer, je la porte en moi. La montagne c’est mon ancre ». Il la nomme affectueusement « une lettrée des mers et des vents ».
Chez France tout est à cueillir sur la pointe du cœur. Autrement l’essentiel risque de passer inaperçu. En déposant le recueil, mon regard glisse vers la fenêtre. J’observe la neige frémir sur la fourrure de l’écureuil. Je me dis que l’esprit de la géopoète a quelque chose de contagieux. À y succomber sans crainte.
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Tout comme Suzanne, je dirais plus, je dirais même qu’Alvina est une poète! 😉 Merci de cette douceur que nous avons tant besoin!
Tu as raison, Alvina! Le ressenti par rapport à cette œuvre se veut aussi singulier qu’universel. En revanche, quel talent t’habite pour réussir à exprimer ce qui émane de cette rencontre, les traces laissées par elle…
Quelle beau texte, je reconnais mon amie Alvina
Cette acuité particulière de lectrice révèle toute la sensibilité et la poésie qui t’habite, chère Alvina, et souligne avec justesse les qualités de « Doublure du monde »!
Une si tendre chronique. Alvina, en symbiose avec le poème. Je t’aperçois à la fenêtre, les yeux émerveillés et étincelants au regard de la neige frémissante. Une poète en appelle une autre. Que je vous aime, vous deux!
Je ne saurais mieux écrire que les mots de Suzanne…
Tu as toute mon admiration Alvina.
Quand la chronique littéraire est aussi poétique que l’œuvre qu’elle commente, c’est que la chroniqueuse est aussi poète! Merci de nous livrer si joliment ta critique de cette œuvre de France Cayouette!