Lettre vagabonde – 9 mars 2005
Cher Urgel,
Dans mon village, il existe un endroit où s’entretiennent des relations bien particulières avec la planète entière. Des liaisons s’établissent avec les Amériques, l’Europe, l’Afrique, l’Asie et même l’Océanie. Ce haut lieu est accessible à tous. Il y circule des secrets et des affaires publiques, de très grandes nouvelles et le train-train quotidien.
Le bureau de poste de Pointe-à-la-Croix est le lieu privilégié des adeptes de la communication. C’est le rendez-vous de ceux qui ont un penchant ou une utilité pour la chose écrite. Les institutions bancaires, les compagnies, les commerces et les gouvernements l’utilisent régulièrement. Ceux qui entretiennent des liens étroits avec leur famille au loin, qui affermissent leurs relations d’amitié passent par la Poste pour exprimer leurs sentiments. L’endroit est idéal pour prendre et transmettre des nouvelles en toute discrétion et intimité.
Tu me diras que tous les bureaux de poste offrent des services similaires. Je te répondrai que celui de Pointe-à-la-Croix se distingue nettement des autres par la présence d’une maîtresse de poste et d’une adjointe hors de l’ordinaire. On a l’impression d’avoir affaire aux copropriétaires d’un commerce prolifique et non à deux employées. Diane et Lise sont des expertes efficaces et accueillantes. Les gens traversent le pont et la frontière provinciale attirés par le bon service. Les gens de la région délaissent leur bureau de poste pour fréquenter le nôtre. Il a la réputation d’assurer un service postal exceptionnel et supérieur.
Grâce à ses deux personnes de lettres (comme les appelle une amie) la Poste de Pointe-à-la-Croix est au courrier ce que le salon de Mme de Rambouillet était aux grands esprits. Diane et Lise connaissent leurs clients et leur métier. L’accueil est chaleureux, l’ambiance conviviale. La maîtresse de poste, Diane, est à l’affût de tous les besoins. Elle sert, informe et conseille. Elle ajoute une petite touche d’extra au service requis. Coller les timbres sur les enveloppes pour les personnes pressées ou aux mains tremblantes, solidifier un colis pour éviter des mésaventures sont quelques exemples des petites attentions de Diane.
Les philatélistes et les numismates ne sont pas en reste. Chez Diane et Lise, la marchandise a une place de choix. Les nouveaux timbres sortent des tiroirs et les pièces de collection du coffre. Avec fierté, elles font étalage de leurs récentes acquisitions. Je me crois dans un musée quand on étale devant moi les nouveautés, surtout les timbres tant on s’occupe ici des goûts de chacun. Avec patience et professionnalisme, Diane et Lise servent et s’occupent de chaque client comme s’il était le premier violon. Le sourire, l’humour et la bonne conversation déferlent dans ce petit local aux allures d’un important lieu de rassemblement.
Le bureau de poste est quasi la porte d’entrée au village pour tous les nouveaux arrivants. Qui prend pays s’assure de prendre une adresse postale on dirait. On s’empresse de confirmer sa nouvelle adresse, de recevoir un numéro de boîte ou la clé d’une case. C’est l’assurance et la confirmation d’être citoyen ou citoyenne à part entière. Un nouveau résidant au village recevra de la maîtresse de poste de l’information pertinente pour obtenir les services d’un électricien, du plombier ou d’un menuisier. La Poste, c’est un bureau d’information ouvert à longueur d’année.
Une amie de France, qui une dizaine d’années passées fit un séjour dans la région, continue à prendre des nouvelles de ces nobles femmes de lettres qui l’ont si bien servie. Elle leur envoie une carte à l’occasion. Ce n’est pas pour rien que l’écrivain voyageur Nicolas Bouvier écrivait ceci de la Poste : « Un séjour perdu et sans commodités, on le supporte; sans sécurité ni médecins, à la rigueur; mais dans un pays sans postiers, je n’aurais pas tenu longtemps. » Et l’écrivain Gilles Lapouge dans « Le bruit de la neige » ajoute : « Je me persuade qu’il n’est point d’exotisme sans bureau de poste, sans lettres et sans relation écrite. » Dans V.W, Geneviève Brisac et Agnès Desarthe soutiennent que « Si Virginia Woolf est aujourd’hui immortelle, c’est oui, un peu à cause de sa correspondance. De son Journal, de sa vie, et de ses amis, mis en scène dans sa correspondance. »
Le courrier se fait souvent attendre. Les gens guettent le facteur de la fenêtre. J’en ai connu qui ne reçoivent presque jamais de courrier, mais persiste à se rendre à chaque jour à la Poste au cas où. Je préfère louer une case postale au bureau de poste que d’utiliser le service des boîtes rurales juste pour côtoyer Diane et Lise, ces deux femmes de lettres appréciées de tous. Il m’arrive de me réjouir avec un visage souriant à la vue d’une enveloppe adressée à la main dans sa case. Il y a effectivement plein de petits bonheurs à grappiller au bureau de poste de Pointe-à-la-Croix. Tes lettres en font partie Urgel.
une épistolière comblée
Alvina