Voyages aux bouts de la vie

Lettre vagabonde – 17 octobre 2007

 

Cher Urgel,

« Traveling is no big deal » aurait écrit le célèbre voyageur Bruce Chatwin. Surtout ne pas raconter mon voyage en France; je risque de m’adresser à ceux qui en reviennent ou à d’autres qui y retournent pour l’énième fois. Mais c’est plus fort que moi, il faut que je te raconte Urgel. Les voyages, c’est comme les souvenirs, on n’y jette jamais l’ancre deux fois dans la même eau. Un état d’âme, un ciel variable, peuvent modifier le regard et transformer le voyage.

Malgré plusieurs séjours à Paris, je n’avais encore jamais mis les pieds au Louvre. Statut de touriste oblige, j’y suis allée, enfin. L’entrée, une pyramide de verre, présage bien ce labyrinthique haut-lieu. Je t’assure m’être démenée sur un long trajet en escaliers roulants, en couloirs, en vastes salles avant de croiser la Vénus de Milo. Dans mes errances, je suis tombée sur Antinoüs, en trois modèles. Lui, je l’avais déjà rencontré au moins dans Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar. Il avait vécu et joué un rôle dans la vie de l’empereur Hadrien. Tout touriste qui se respecte doit évidemment partir à la recherche de la Joconde. J’ai cru ne jamais y arriver. Les photos et les flèches indiquent la route à suivre. Un vrai jeu de cache-cache. Enfin j’arrive dans une salle comble. Derrière des rangées de dos, un long cordon de sécurité, une rampe de protection et une vitre pare-balles apparaît La Joconde. Au risque de te décevoir, j’avoue n’avoir ressenti aucune émotion. Elle était si retirée dans sa boîte de verre, qu’elle me parut inaccessible. J’ai eu plutôt pitié d’elle. Décidément, le Louvre, c’est trop grand pour moi. Je me suis consolée en retournant au musée d’Orsay revoir Vincent et Camille Claudel. Et là, que d’émotions! Au moins, ceux-là, ils m’attendaient. Je fus très bien accueillie.

Mon voyage en France à l’automne avait un motif précis. J’allais y retrouver des personnes que j’aime beaucoup. Deux personnes supérieures à la Vénus de Milo et à la Joconde, n’en déplaise à leurs créateurs. Deux êtres éveillés à la vie, l’une qui vient de la commencer, l’autre que le cours des ans semble vouloir immortaliser. Si on ajoute les deux années de la plus jeune à la plus âgée, elle devient centenaire. Ces deux êtres méritent de sortir de l’ombre car elles sont des lumières. Simone et Emma valent la peine d’être connues. J’ai la chance et le privilège de les côtoyer. Simone est une grande amie depuis trente ans et Emma mon arrière-petite-nièce du haut de ses deux ans, ne cesse de m’impressionner.

Rendre visite à Simone Ève, c’est rencontrer la France en l’écrin de sa mémoire, de son histoire et de sa culture. Assise en face de moi dans son fauteuil, elle me parle du dernier livre lu. Les écrivains n’ont aucun secret pour cette insatiable lectrice. Amélie Nothomb, Philippe Claudel et Gabrielle Roy animent nos conversations. Simone Ève est porteuse d’un savoir qui se perd au profit du prêt-à-penser. Elle conserve le riche vocabulaire nécessaire à la pensée éclairée, à la réflexion et aux échanges dans une langue détentrice d’une culture. Elle voyage dans l’histoire ancienne et contemporaine avec autant d’aise que de connaissances. En voiture, le long des côtes de Bretagne, dans les villes, c’est le guide parfait. Elle a immortalisé sur toiles plusieurs de ces paysages. Un sens de l’humour anime ses propos. Sa mémoire, une véritable encyclopédie. Simone Ève, une grande fenêtre ouverte sur le monde. Il reste chez elle beaucoup de place pour la curiosité, la spontanéité, les échanges aussi. Elle aime les gens. Elle nous a accueillies, mes deux amies et moi dix jours chez elle.

Emma m’a accueillie en sa demeure remplie de réel et d’imaginaire. Emma aussi aime les gens. « Tu veux voir mes livres? » qu’elle me lance à mon arrivée. De découverte en découverte, j’explore ses livres, son territoire et ses secrets. Rares sont les enfants de deux ans si éveillés.  Elle s’occupe des gens, crée des liens et entretient une conversation dans son vocabulaire exceptionnel. Je la sens habitée par l’amour des mots.

Simone Ève et Emma Philippe, deux filons riches d’une même culture, deux êtres d’amour, de curiosité, au souffle rafraîchissant. Je voudrais que tous mes amis puissent faire leur connaissance. Leur rythme de vie m’offre l’espoir dont j’ai besoin. Côtoyer Simone et Emma, c’est voyager aux bouts de la vie.

Lorsque Emma demande : « On va où maintenant nous? », j’ai le goût de répondre : « Emma, ramène-nous tous dans ton bout du monde. » Tu vois Urgel, j’ai fait bon voyage.

 

Amitiés,

Alvina

 

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