Ce qu’il nous reste

Lettre vagabonde – 5 janvier 2013

Dans ce petit village où rivière, forêt et montagne se côtoient harmonieusement, j’ai choisi de jeter l’ancre un jour. C’est un milieu où il fait bon vivre surtout si on aime la nature en toutes saisons. Depuis quarante ans, le voisin bûche son bois de chauffage dans la montagnette au bout de sa terre. Depuis quelques années, son fils s’y approvisionne aussi. Ils tirent de la forêt que ce dont ils ont besoin. Les sentiers sont entretenus pour le halage. L’hiver c’est en motoneige que le fils vérifie ses collets à lièvre. La forêt demeure en santé, se régénère d’elle-même, conserve son visage intègre. Je marche librement sur ces terres et sur celles des autres propriétaires depuis près de trente ans. Aucune coupe de bois massive n’abîme le paysage. En marchant l’été à pied et l’hiver en raquettes je contourne le lac Maillart sur la réserve des Micmacs jusqu’au ruisseau Basket vers le chemin de Saint-Conrad. Seule ou avec des amis je fonce à travers la forêt, parcours la montagne comme si le territoire m’appartenait. Des dizaines de kilomètres de pistes mènent vers des endroits où les idées viennent, où les soucis s’envolent. Le paysage, les couleurs et les odeurs valent en beauté les parcs très fréquentés. Ici le silence et la solitude sont assurés.

Rares sont les pays où l’on peut encore se perdre dans la nature sauvage à proximité de sa maison. Là réside la richesse naturelle qui définit le mieux notre pays d’un océan à l’autre. Nous avons la chance de bénéficier sans commune mesure de ses avantages. Au Canada, la nature est notre plus important attrait touristique. Les voyageurs viennent de partout pour faire de la randonnée dans nos parcs provinciaux et nationaux. Ils séjournent dans des camps, des chalets ou sous la tente. Ils pêchent, chassent et observent de près les animaux sauvages. Combien d’entre nous profitons de la beauté inestimable de notre environnement? Depuis  mon enfance, je raffole de cette liberté de traverser à pied les terres privées et publiques, de sonder la vie dans les bois, d’errer dans la montagne et d’atteindre le sommet. Encore aujourd’hui, je scrute le sol à la recherche de pistes de lièvres, de renards, de coyotes ou de lynx. Je repère souvent des chevreuils et à l’occasion un orignal et même un ours. Je cueille des têtes de violon sur la berge de la Petite-Rivière-du-Loup au printemps. L’été m’apporte sa ration de petites fraises des champs et de framboises. Je fais provision d’une quantité de plantes médicinales et parfois de champignons. Dans mon petit village, plusieurs récoltent leurs propres légumes, on profite d’un grand verger de pommes. Je m’approvisionne d’œufs frais à cinq minutes de chez moi.

Ce coin de pays m’est encore plus cher depuis que j’ai failli le perdre. Récemment, une compagnie minière s’apprêtait à y exploiter l’uranium qui se trouve en abondance dans le sous-sol. C’est à ce moment que j’ai appris que le territoire sous mes pieds ne m’appartenait pas plus que celui autour de moi. Un claim par un individu et c’en est fait de mon chez-moi. En moins d’un an, la face de mon petit village aurait changé, l’environnement saccagé, les animaux disparus, la végétation détruite et les cours d’eau pollués par des décharges toxiques.

S’il me reste encore une forêt intacte, une montagne boisée, une rivière aux eaux limpides, si je profite de la présence des oiseaux et autres animaux sauvages, des petits fruits et des plantes, c’est grâce à quelques individus qui ont osé se lever et lutter pour nos droits. Une seule personne peut faire changer les choses. Un militant rassembleur, suivi par d’autres, a réussi à engendrer un mouvement de solidarité. Nous nous sommes soutenus dans la lutte contre l’ingérence d’une compagnie minière qui s’appropriait notre région comme si on n’existait pas. Si je jouis encore d’un environnement sain, de ma maison, je le dois à ces indispensables pionniers de la lutte légitime comme Michel Goudreau, Florian Lévesque, Cynthia Dow et bien d’autres. Je le dois à l’appui et à la solidarité de mes concitoyens. « Le pouvoir ne cède rien si on ne l’exige pas » affirme Frederick Douglas.

Pour combien de temps encore pourrons-nous conserver un environnement sain et le droit d’y vivre? Je constate les conséquences désastreuses des ambitions déchaînées des grandes compagnies minières qui, avec l’approbation des gouvernements, viennent détruire un bien naturel qui appartient à la collectivité. Après l’exploitation, elles abandonnent derrière elles des régions complètement dévastées. Mais à qui donc appartient-il notre pays?

Lorsque l’on saccage un territoire, non seulement détruit-on les plantes et les animaux, des expériences humaines s’envolent aussi en fumée, la culture perd de ses plumes. Je crois que 2013 sera l’année de la lutte pour conserver ce que nous possédons d’essentiel : notre environnement. Que nous en reste-t-il?

Il nous reste la nature, la liberté d’y circuler et de profiter de sa beauté  et de sa richesse. Il nous reste la solidarité pour la protéger et la conserver. Il nous reste l’espérance d’y vivre des bonheurs à venir. Selon saint Augustin : « L’espérance nous a laissé deux beaux enfants : la colère et le courage. » Il y a urgence de continuer la lutte devant les incessantes invasions de notre milieu de vie par des gens peu soucieux de notre culture, de notre environnement et de notre survie. Il est urgent également d’apprivoiser le milieu naturel, de le découvrir, de le comprendre.

Si nos forêts, montagnes, plaines et cours d’eau nous approvisionnent en biens et en nourriture, ils contribuent également à notre bien-être. Ils sont empruntés par les chasseurs, les motoneigistes, les campeurs, les adeptes de véhicules tout terrain et les randonneurs. Ils profitent autant aux pêcheurs, nageurs, kayakeurs et canoteurs. L’écrivain-voyageur, Sylvain Tesson est convaincu que « le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que de l’or. »

Les lieux de randonnée sont accessibles un peu partout. Il reste des sentiers à découvrir près de chez toi. En Gaspésie, il existe près de mille kilomètres de sentiers dont six cent quarante kilomètres du Sentier international des Appalaches. La moindre petite route de terre peut mener au bout du monde. Tu y trouveras l’énergie calme et sereine qui guérit du bruit et de la vitesse. La vibration d’un cèdre, la musique d’un ruisseau, la vue prenante au sommet nourrissent l’âme. Heureusement, il nous reste la nature et l’espérance de la sauvegarder.

 

 

 

 

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