Lettre vagabonde – 7 mai 2016
Trente-cinq artistes se sont réunis autour du Symposium en arts visuels du Nord-Ouest à Grand-Sault. Un symposium proche de sa mission initiale qui est de réunir des spécialistes qui discourent dans leur domaine de prédilection. Puisque la plupart des exposants résidaient sur place, les opportunités d’échanges furent nombreuses et enrichissantes.
Les artistes peintres offrirent des ateliers sur place et dans des écoles de la région. Plusieurs ont parcouru la ville et les villages avoisinants pour y installer leur chevalet et manier leurs pinceaux. On aurait dit des alchimistes à l’œuvre en train de transformer une maison, une vieille grange, une camionnette ancienne ou un paysage en un baume pour l’âme. Ceux qui travaillaient à l’intérieur n’étaient pas en reste. Couleurs, formes, volumes, empâtements, reliefs, collage réinventaient le réel ou fabulaient sous l’œil du regardeur.
Peintres de l’abstrait ou du figuratif, portraitistes, peintres animaliers ou de nature morte, tous affichaient une panoplie impressionnante d’œuvres en acrylique, à l’eau ou à l’huile. Tant d’interprétations du monde dans trente-cinq paires d’yeux. J’ai constaté un motif de prédilection chez la plupart des artistes du figuratif : les arbres. On les dote de personnalité, de caractère. On en vient à prêter aux arbres les mêmes attributs qu’à l’artiste tant ils sont distinctifs.
J’ai consacré de longs moments à l’observation rigoureuse des œuvres d’une dizaines d’artistes. Je me suis prise au jeu de me laisser raconter des histoires. Je notais le tout. Chaque stand portait son propre récit, chargé d’émotions ou faisant preuve de retenue. Cette expérience se révéla significative. Les artistes peintres donnent à voir le monde, à le ressentir tout comme les poètes. Le recueil de poésie d’Hélène Harbec, Humaine vagabonde m’accompagnait depuis quelques jours. De la poésie en tableaux. Peindre ou écrire, c’est donner forme sous un éclairage propice, une expression personnelle, à une représentation fictive ou réelle du monde. Pinceau et stylo puisent aux mêmes sources. « Se plonger dans l’art, c’est vivre de multiples vies » écrit Yann Martel.
Peu importe que le paysage apparaisse au bout de la route ou dans les coulisses de la conscience, pourvu qu’il nous parle. Là réside la force de l’art sous toutes ses formes. Créer sur la toile ou sur la feuille de papier, arranger les couleurs ou rassembler les mots, pourvu que l’on exprime ce qui ne peut venir que de soi. J’ai réussi à jumeler des toiles à des poèmes d’Hélène Harbec. Les arts visuels et l’art poétique explorent les mêmes territoires et récoltent au même terreau.
Le symposium en arts visuels est une grande librairie comme Humaine vagabonde d’Hélène Harbec se veut une galerie de tableaux. L’artiste peintre et le poète dessinent d’étonnants sentiers qui mènent vers un entendement intuitif. Une réflexion de Marcel Proust résume bien le pouvoir de l’art. « La grandeur de l’art véritable, c’est de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d’épaisseur et d’imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie. »
L’émerveillement peut surgir d’une main maniant le stylo, la spatule, le clavier, le crayon ou le pinceau. Cette main entraînera l’œil à voir autrement un paysage et prédisposera le cœur à apprécier différemment les choses banales du quotidien. Au fond, l’art nous apprend à se créer un monde meilleur.