Lettre vagabonde – 31 octobre 2007
Bonjour Urgel,
Les incendies en Californie n’ont épargné personne se trouvant sur leur chemin. Elles se sont attaquées aux monts élevés comme au fond des canyons. Elles n’ont laissé que ruines sur leurs parcours. « We’re at war » répétait Georges au bout du fil. Nous, les Nord-Américains, on a l’habitude de regarder la guerre à la télévision. On peut choisir sa chaîne d’après le degré d’horreur que l’on est capable de supporter. L’horreur, à l’extérieur de nos territoires, cesse à la pression d’un bouton.
Quand la guerre fait rage à l’intérieur, que l’ennemi est le feu et que le feu est à la porte d’à côté, ça change la donne. Lorsque les images de l’écran de télévision sont identiques à celles de la fenêtre du salon, la menace est réelle, le danger imminent. Les résidants sont appelés à se tenir prêts à une éventuelle évacuation. Georges a déposé près de la porte, un mince bagage. La plus petite valise contient les affaires de son chien; l’autre, que l’essentiel : papiers d’assurances, trousse de toilette et quelques vêtements.
Depuis quatre jours, l’ennemi se rapproche. Des chars d’assaut rougeoyants conduits par le vent sillonnent le territoire en tous sens. Le sol asséché, comme s’il y avait eu un embargo sur la pluie depuis des mois en Californie, ne résiste pas aux flammes. De sa cour, une voisine lance : « Je ne croyais pas que ça pouvait arriver à nous une catastrophe pareille. »
Les feux en Californie auraient pu être une tragédie qui n’arrive qu’aux autres. La misère du monde paraît si éloignée de nous. Cette tragédie a traversé la frontière autrement que par les nouvelles du soir. Vois-tu Urgel, Georges, c’est mon frère. Quand mon frère décrit les nuages de cendres, la fumée étouffante, son impression d’être en guerre, je comprends. Nous ne pouvons pas faire grand chose devant la force des éléments. Je voudrais que ceux que j’aime soient protégés de tels dangers. Les images à la télévision ne révèlent pas la peur, les nuits blanches, l’angoisse de ceux tapis derrière les murs. Près de sept cents maisons ont brûlé dans la région de San Diego. Des milliers de personnes ont perdu biens et souvenirs. Des pans d’avenir sont partis en fumée.
La guerre, aux États-Unis comme au Canada, c’est à la télévision et dans les autres médias que ça se passe. Tous les jours des êtres humains sont privés de liberté et meurent. Les tragédies déclenchées par les éléments naturels, je comprends. Mais les attaques guerrières, je n’arrive pas à les justifier. Je me dis que chaque soir en Afghanistan, des hommes ne dorment pas, craignant qu’on ne vienne tuer leurs femmes, leurs fils et leurs filles. Autant de femmes sont à prier pour que les tirs de mitraillettes et les explosions épargnent leurs enfants. Ça me révolte de savoir que le Canada provoque la catastrophe dans ce pays. Il fournit l’allumette et la main qui mettront le feu. On ne nous montrera pas à la télévision l’enfant retrouvé calciné, un enfant qui depuis si longtemps n’arrivait plus à s’endormir.
Personne n’est à l’abri des catastrophes. Si on mettait autant d’effectifs pour prévenir et réduire les catastrophes naturelles qu’on en met pour déclencher et activer celle de main d’homme, la planète s’en porterait mieux. Je me dis que mon frère Georges et tous les autres auraient du être mieux protégés de la guerre du feu.
Nous sommes habitués à observer la souffrance d’autrui sans la subir, à se laisser résumer l’état de la planète dans les nouvelles du soir. Des foyers d’incendie en Californie sont d’origine criminelle. Les coupables seront arrêtés. On trouve tout naturel, qu’ailleurs dans le monde, un soldat incendie une maison avec une famille à l’intérieur. Les catastrophes prennent un tout autre sens quand elles touchent l’un des nôtres. Il y aurait peut-être avantage à jeter un long regard, de notre propre fenêtre, sur le monde.