Lettre vagabonde – 13 juin 2007
Cher Alberto Manguel,
En parcourant Une histoire de la lecture, j’ai su que grâce à vous, je m’embarquais dans une extraordinaire aventure. Vos fouilles exhaustives en l’univers des mots vous consacrent archéologue de l’écriture. Votre récit est l’histoire de la transmission de la pensée de toutes les humanités. Vous devenez donc philosophe. Vos écrits défendent, valorisent et encouragent la lecture. Vous voilà ambassadeur du livre. Le monde littéraire reconnaît déjà le romancier, éditeur, essayiste, critique littéraire et traducteur.
Tout lecteur assidu devrait posséder Une histoire de la lecture afin de découvrir l’arbre généalogique de sa passion. Retrouver ses semblables, ayant survécu sur les pierres, le papyrus et le papier. Vous y écrivez : « Ce qui est certain, c’est que la lecture, qui permet à tant de voix d’échapper au passé, les sauvegarde parfois pour un lointain avenir, où il se peut que nous en fassions un usage courageux et inattendu. » Chaque livre nous rejoint telle une personne. Ses comportements nous affectent et modifient les nôtres. Vous avez raison de dire que « Nous ne retournons jamais au même livre ni à la même page parce que sous la lumière changeante, nous nous transformons et le livre se transforme, et nos souvenirs s’éclaircissent, deviennent obscurs et s’éclaircissent à nouveau, et nous ne savons jamais exactement ni ce que nous apprenons et oublions, ni ce que nous retenons. »
Afin de s’assurer l’éternelle présence de ces esprits scripturaux, il importe de leur accorder une place en notre demeure. Vous avez enfin trouvé le site idéal pour installer votre bibliothèque. Elle devient ce que Northrop Frye décrivait comme le don des langues et le vaste pouvoir de communication télépathique. À lire La Bibliothèque la nuit, les livres s’animent, les mots respirent doucement, les lettres s’illuminent. Il nous apparaît alors des formes humaines, parfois venues d’un lointain passé, à d’autres moments, tournées vers l’avenir. Nous communiquons avec ces formes en échangeant idées et émotions. Tous les âges et toutes les époques sont au service de celui qui possède une bibliothèque.
Vous joignez vos convictions à ceux de Sénèque pour affirmer que « tout lecteur peut inventer son passé personnel […] il est possible de choisir nos ancêtres. » Sénèque a raison de nous conseiller de choisir la famille à laquelle on veut appartenir en choisissant les volumes de sa bibliothèque. Vous ajoutez : « Mes livres recèlent entre leurs couvertures toutes les histoires que j’ai jamais connues et retenues, ou que j’ai oubliées, ou que je lirai peut-être un jour; ils remplissent l’espace qui m’entoure de voix anciennes et nouvelles. »
Avec Dans la forêt du miroir, vous explorez la magie des coups de folie. Une plongée dans l’enfance nous dirige vers le lieu de tous les possibles. Ça rejoint les propos de Marguerite Yourcenar : « Il faut toujours un coup de folie pour bâtir le destin. » Et vous de renchérir : « Les écrivains ont en commun avec les enfants et les fous ces actes quotidiens de création qui, au mieux, figurent notre vision acceptée du monde. » Dans la forêt du miroir se range parmi tous les genres et s’accorde à tous les âges. Peut-être tient-il tout simplement sous l’oreiller, pour se lover au cœur de nos rêves la nuit. Ce livre nous révèle à nous-mêmes dans des phrases comme « Les enfants savent ce que la plupart des adultes ont oublié; que la réalité, c’est tout ce qui nous paraît réel. »
Je me retenais de vous parler du Journal d’un lecteur. C’est que je vous envie Alberto Manguel. J’aurais voulu l’écrire. Vous racontez ma relation avec l’univers des livres. J’y rencontre des amis communs. Je voulais les retenir chez moi. Ils repartent avec vous. J’aurais voulu rendre ainsi hommage aux écrivains que j’aime. Vous faites si bien l’éloge des vôtres. Si j’éprouve souvent le besoin d’écrire dans la marge de mes livres, j’ai surligné en abondance dans les vôtres, afin de me les approprier en quelque sorte.
Cher Alberto Manguel, j’ai pris possession de vos livres. Je ne vous retiens pas prisonnier mais c’est tout comme. À aucun moment, je ne saurais me passer de vous. J’ose croire que vous avez besoin de la lectrice que je suis. Votre plume m’est essentielle, mes yeux vous sont indispensables. Si ça peut vous rassurer, vous occupez une place de choix dans ma bibliothèque et vous circulez librement dans la maison. Vous assistez souvent au repas entre amis. Lorsque j’écris à mes amis, vous êtes mêlé à mes confidences. Vous êtes mon complice Alberto Manguel. Je vous récris partout en citations amicales.
Ma mère lisait à voix haute des histoires à ses enfants. Elle m’a légué le culte du livre. Je vous dois d’en assurer la survie. Dans Journal d’un lecteur votre quotidien côtoie celui de vos lecteurs. Je me prends à rêver d’une plus grande intimité encore. Mon rêve : visiter votre bibliothèque un jour. Bientôt je retournerai visiter la bibliothèque de Marguerite Yourcenar dans sa Petite Plaisance au Maine. J’emprunte votre citation de l’auteure d’Hadrien : « Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été des livres. »
Tous mes remerciements
Alvina Lévesque