Mes adieux à Aude

Lettre vagabonde – 13 novembre 2012

Éclats de lieux est un recueil de nouvelles à l’avant-propos inusité. L’auteure nous attend à l’entrée, nous convie à un tête-à-tête en toute intimité. L’accueil est généreux et émouvant. Lorsqu’on a déjà fait la connaissance d’Aude, que l’on apprécie la personne et que l’on admire l’écrivaine, l’invitation prend une tournure amicale. L’ambiance est à la confidence.

Une vingtaine de nouvelles explorent le monde d’aujourd’hui autant dans les événements majeurs qui ébranlent la planète que dans ses violences cachées dont sont victimes des enfants, des femmes et des hommes. Aude dénonce ces agressions subies à chaque jour par des milliers de personnes partout sur la planète. Son écriture est percutante, plusieurs nouvelles provoquent un choc brutal. La plupart des textes sont brefs et coulent sur quelques pages sans pour autant en réduire la force de frappe. L’écrivaine, de  son œil de nyctalope saisit l’insoutenable qui se trame dans l’ombre. La souffrance soulève des interrogations et la violence déclenche la révolte tant je trempe dans la vraie vie en lisant. Je frôle à la fois l’insoutenable et l’insoupçonné. Je me prends à compatir, ne serait-ce qu’à un seul reflet de bonté d’un bourreau. Le tueur de La femme de la ruelle, lui qui avoue ne pas choisir ses cibles mais de recevoir des instructions, se laisse encore toucher par le sacré au fond de l’œil d’une femme. Rien n’est jamais noir sur blanc entre le monstre et l’humain.

Aude est l’écrivaine de la compassion, de l’indignation aussi. De toute la finesse de sa plume, elle donne à croiser des êtres réels. Des personnages vrais comme Virginia Woolf donnent à croire que les autres le sont aussi. Le recueil bénéficie de cette crédibilité qui assure à son auteure talent et authenticité. Les chacals démontre une faculté indéniable à créer une ambiance, à laisser deviner le drame sans le décrire. La dernière nouvelle, Les fileuses fait suite à la première du recueil et m’entraîne à nouveau vers l’espoir. L’espoir est le seul enjeu de la vie qui reste à bon nombre d’entre nous. Il demeure le fondement de la solidarité « si précieuse et indispensable » affirme l’auteure.

Au  moment où j’allais mettre ma chronique en ligne, j’ai appris la mort d’Aude. Je lui avais posté une  lettre le 24 octobre. Elle est décédée le 25. Je la remerciais de m’avoir offert, par l’entremise de son éditeur, son dernier recueil de nouvelles. Au Cercle littéraire La Tourelle, nous avions passé de bons moments avec Aude lors de son séjour chez nous en octobre 2004. Tous, nous l’avions aimée elle et ses œuvres. Depuis je ne l’avais plus perdue de vue. Pourtant Aude vient de m’échapper. Après Éclats de lieux, l’éclatement radical. Je lui souhaitais Bon voyage dans toute l’étendue de son humanité.

On ne voudrait jamais qu’ils cessent d’écrire les écrivains que l’on aime. J’ai fait provisions des mots d’Aude, mais je croyais le terreau intarissable. C’était compter sans sa disparition. Il lui restait beaucoup à raconter pourtant. Dans une nouvelle de Cet imperceptible mouvement Aude écrivait : « Comme j’espère de plus en plus que, même lorsque je ne serai plus là, je serai là quand même pour ceux que j’aime. » Même au-delà de tes mots, qui nous habitent, tu seras toujours là Aude, ton empreinte incrustée au cœur de tes fidèles lecteurs et lectrices et de tous ceux qui ont eu la chance de te connaître.

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