Ciels métissés, une poésie qui remue

Lettre vagabonde – 29 janvier 2015

Poète des grands espaces, esprit nomade, généreuse sur tous les horizons, Louise Desjardins poursuit son exploration du monde avec Ciels métissés. Son dernier recueil est un amalgame de villes et de nature, de fictions et de réalités d’où se dégage une poésie à la fois paisible et tumultueuse, personnelle et universelle. Il nous est livrée d’emblée sa quête du territoire intérieur et extérieur.

Sa poésie prend l’aspect d’un grand arbre où se seraient greffées par force bouturage toutes les histoires du monde. Ses racines se nourrissent encore au terreau de l’enfance. Les chemins, les êtres, les lieux dressent une étonnante cartographie du visible et du ressenti. S’entrecroisent épinettes et bétons, étonnement et révolte. Les grandes villes croisent son propre territoire dévasté par les compagnies minières. « Prenez soin de mon lac d’enfant / cadeau de mon père / né d’un glacier et d’une épinette noire / il y a des siècles et des siècles. » Poésie de l’errance au reflet de l’âme nomade. Sur Katmandou, elle écrit : « Je promène mon vide / en petite robe tibétaine / et tablier rayé mauve / déguisée zen / le cœur en éternité / moitié moi / moitié autre. »

Les pages de Ciels métissés nous propulsent en mouvement perpétuel. Le voyage n’a de cesse d’aboutir vers des destinations affectives que géographiques. Le poème exprime une manière distincte d’habiter le monde, de le percevoir et de le ressentir. Il faut être géopoète pour amener le lecteur à parcourir le territoire de l’écrivain tout en s’appropriant son propre  territoire. Tisser ce que nous avons été à ce que nous sommes devenus. Une écriture éclairée d’une lumière crue, d’un réalisme saisissant sur fond de déplacements continuels. Une photo sur une carte postale, une odeur de mélèze sur la chemise du père, un air de Chopin  au bout des doigts de sa mère, tout devient déclencheur de voyagement.

J’aime la relation complice de Louise avec son lecteur, son humour qui rafraîchit le quotidien et l’accessibilité de sa poésie. Elle m’invite à la suivre, à « marquer mon territoire, avoir mon territoire à moi, » comme elle écrit dans Rouges chaudes. Elle possède la faculté de laisser un souvenir, une sensation se fusionner à son sang et à son regard. Si la poète rend si bien l’univers qui l’habite, c’est qu’elle a réussi ce que Rilke propose de faire de nos souvenirs! « Il faut qu’ils perdent leur nom et qu’ils ne puissent être  discernés de nous-mêmes. » En ce sens, son œuvre s’apparente à Patrice  Desbiens, Abdellatif Laabi et à Raymond Carver par la transcendance même du souvenir. « Des rêves d’ailleurs / semés dans ses albums / ont éclaté dans ma tête / comme une balle de fusil. » Elle donne cette impression que nous sommes du voyage.

Elle sait créer un environnement, transmettre une ambiance. Ciels métissés fait jaillir au filon des mots le mystérieux pouvoir de l’enfance et des lieux. « Écrire un poème, c’est tenter de faire voir au grand jour quelque chose qui est caché, » affirme Anne Hébert. Je retrouve une poésie qui mène à l’exploration des chemins qui nous composent. Ciels métissés, un beau voyage assurément.

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