Lettre vagabonde – 7 novembre 2007
Cher Urgel,
À force de côtoyer des écrivains lors d’événements littéraires, je suis devenue sensible à leur situation. Les salons du livre ne sont pas la chasse gardée des écrivains. Ils s’en plaignent. Des stands de magiciens, de vedettes, de fine cuisine, de vin côtoient ceux des livres. Les salons du livre se livrent-ils à des commerces douteux? J’ai vu déjà, en plein salon, un grand cuisinier préparer le met propice au vin primé. Les odeurs de cuisine ensevelissaient celles des livres. Souvent, la vedette de l’événement est une star de la télévision ou une idole du sport. Un journaliste vient tout juste de publier sa biographie. On lui réservera le grand fauteuil.
J’arrive du Salon du livre de Rimouski, le plus ancien au Québec. Cent quarante-cinq auteurs sont présents. La salle des exposants est remplie à craquer : stands, auteurs, scènes et grand public. Je cherche des écrivains. Je les repère, coincés parfois à deux ou trois à une même table. On se croirait à l’époque des familles nombreuses. Serrés comme leurs livres sur les présentoirs, ils échangent avec leurs lecteurs ou les attendent désespérément. Les séances de signature font partie des tâches ingrates des écrivains méconnus. Ça me désole de voir un auteur isolé derrière sa pile de volumes, attendant en vain un curieux qui lui adressera la parole. À l’autre extrême, une Jeannette Bertrand occupera le meilleur espace, participera à des entrevues, tables rondes et sera entourée d’un public admiratif. Si des écrivains boudent les vedettes, d’autres regardent de haut l’auteur inconnu tapi dans son coin. Il est considéré comme un écrivailleur, un plumitif de l’intime et du régionalisme. On lui reproche de traiter de sujets non littéraires.
Mais qu’est-ce qu’un écrivain? Je te fais grâce des définitions du dictionnaire qui n’apportent aucune lumière. J’ai interrogé des écrivains sur le sujet. Après tout, ils devraient savoir qui ils sont. Voici leurs commentaires : « Un auteur, même du plus haut talent, connût-il le plus grand succès n’est pas nécessairement un écrivain » affirme Paul Valéry. André Gide déclare : « L’on peut être un grand écrivain sans être un écrivain correct. » Eugène Delacroix le définit ainsi : « Il faut être un écrivain de profession pour écrire sur ce qu’on ne sait qu’à moitié ou sur ce qu’on ne sait pas du tout. » Et Victor Hugo d’ajouter : « Les vrais grands écrivains sont ceux dont la pensée occupe tous les recoins de leur style. » Louis Veuillot n’y va pas du dos de la cuiller. « Sur cinquante écrivains de profession, nous en comptons trente-quatre plus ou moins timbrés, et quinze tout à fait. Ces quinze sont philosophes. » François Mauriac déclare que « un écrivain est essentiellement un homme qui ne se résigne pas à la solitude. Chacun de nous est un désert : une œuvre est toujours un cri dans le désert. » Pieyre de Mandiargues résume : « L’écrivain est une sorte de voyant émerveillé. Qu’il émerveille. » Aucune de ces affirmations ne me satisfait tout à fait. C’est Nancy Huston dans Âmes et Corps qui rejoint ma vision de l’écrivain. La romancière s’explique. « Ce que je cherche, c’est une musique. Tout ce que ma tête charrie pendant le temps de l’écriture – images, voix, bribes d’idées – doit être soumis, en passant à travers des signaux électriques de mes nerfs, et peu à peu à travers les muscles de mes doigts sur le clavier ou le stylo, à la discipline d’une musique. » Comme lectrice, je juge aussi d’un livre à la manière de Nancy Huston. « Est-ce que c’était bon? Est-ce que vous avez aimé? C’est tout ce qu’un auteur de roman à envie de savoir. Il ne veut pas que vous soyez malins, il veut que vous soyez émus. »
En parlant d’émotions, Mlle Charlotte et son spling m’ont fait tout un effet dans le dernier de Dominique Demers : La Fabuleuse Entraîneuse. Je l’ai lu d’une seule traite. J’ai fait de nouvelles provisions : de fabuleux voyages en perspective.