Lettre vagabonde – 23 décembre 2021
Le journal La Presse invitait ses lecteurs et lectrices à s’exprimer sur leur livre préféré de Marie-Claire Blais. En furetant dans ma bibliothèque, mes préférences glissèrent non pas vers les nombreux titres, mais vers les personnages. De Jean-Le Maigre à Petites Cendres, les rencontres furent nombreuses et marquantes. L’écrivaine semble avoir partagé le quotidien de ses personnages. C’est leur voix que j’entends à travers la sienne. N’a-t-elle pas écrit en ses tout débuts, « À quoi bon vivre si je ne vois d’un œil ardent / ce qui se déroule chez les peuples invisibles. »
Comment ne pas s’attacher à Jean-Le Maigre, l’enfant aux rêves prometteurs devenu la proie des religieux. Mai, la jeune révoltée éveille à toutes les injustices. Daniel, l’écrivain se démarque par son empathie contagieuse. La présence de Mabel perdure, cette vieille femme esseulée vivant en compagnie de son perroquet Jenny. Petites Cendres, le prostitué est aussi attachant que Jean-le Maigre. Que dire d’Augustino, mon écrivain préféré, l’indigné qui s’exilera quelque part en Afrique. Quand il disparut d’un tome de la série Soifs, j’ai écrit à Marie-Claire Blais, lui demandant ce qu’il était advenu de lui. Peu importe qu’ils soient pasteurs, itinérants, artistes, écrivains ou prostitués, ces êtres, la romancière me permet de les rencontrer, de les connaître et de les apprécier. Elle a éprouvé leurs émotions, me les a transmises.
Marie-Claire Blais s’est peut-être substituée à chacun de ses personnages. Elle a tant fait siennes leurs souffrances et leurs ravissements. Le titre de son dernier roman, Un cœur habité de mille voix résume la vie de la femme et l’œuvre de la romancière que fut Marie-Claire Blais. Mille voix se sont exprimées à travers elle. C’est le cœur qui parle. Il n’est pas étonnant que je me sois attachée à ces êtres plus réels que fictifs. L’écrivaine avait raison de déclarer « qu’avec des lecteurs sensibles, il y a un véritable échange. » Son aptitude indéfectible à l’écoute de l’autre fut l’une de ses plus grandes forces. Les milles voix qu’emprunte l’écrivaine sont les voix de la transmission et du partage. À chaque lecteur et lectrice d’en recueillir l’usufruit.