Lettre vagabonde – 4 décembre 2024
Cloud de Gilles Jobidon s’ouvre sur la dévastation des Territoires. Immeubles démolis, forêts incendiées, paysages ravagés. Cloud, un jeune adolescent et sa sœur aînée, Cé cherchent parmi les décombres des traces d’un passé vécu. Les deux s’avancent vers le bateau. Leur père a récupéré un immense paquebot afin d’assurer la survie des artistes. L’arche de Noé du XXIe siècle se pointe dans un épais brouillard. Il faut fuir. La planète est sous la domination des Onze Compagnies. L’avenir se joue dans leur laboratoire. Artistes et savants sont parmi les cibles désignées.
Le roman sème le doute, interroge, bouleverse, intrigue, amuse et encense l’imagination. Nous attendent des rencontres avec la fantaisie, l’humour, le redoutable, et ce, tout en prose poétique. L’écriture s’emballe sous les effets spéciaux comme dans un film. Typographie changeante, rebondissements d’onomatopées. L’auteur passe de la narration à la pièce de théâtre, au dialogue, à l’écriture d’une BD.
On soupçonne Cloud de ne pas être comme les autres. Ses personnages de bandes dessinées prennent possession de son histoire. Sur le bateau, Cé tente de monter un spectacle accrocheur avec les artistes. L’apparition de Kabou, amnésique, sauvé de justesse du laboratoire où sont manipulés des cerveaux humains, sème la méfiance. Le laboratoire des Onze Compagnies utilisent les humains « pour rendre les algorithmes totalement autonomes afin qu’ils puissent créer seuls ». Tout est réécrit par « des agents rédactionnels robotisés ». Est-ce la naissances des «robots-sapiens »? Seuls les poètes y échappent. « La poésie est une arme secrète que les robots ne seront jamais en mesure de décrypter. », clame un poète. Les Onze Compagnies ont pour objectif de tuer les rêves. Les artistes et les savants en sont les dépositaires. Un autre projet : créer l’employé idéal , le robot.
C’est la mémoire qui est en jeu. Nos connaissances sont stockées dans des appareils numériques, gérées par des algorithmes, contrôlées par une puissance suprême. En même temps qu’on nous accorde, en certaines circonstances, le droit de programmer notre mort, une puissance sournoise est peut-être en train de programmer notre vie. David Le Breton dans L’adieu au corps écrit : « Le corps est scannérisé, purifié, géré, remanié, reconstruit ou éliminé, stigmatisé au nom de l’esprit du « mauvais » gène. » Il ajoute « L’embryon est devenu un objet virtuel soumis à des procédures de stimulation. Avant d’exister, il subit un test d’entrée de vie. S’il manifeste une quelconque anomalie, que la souffrance l’emporte sur le plaisir qu’il aurait eu à vivre, on décide pour lui, que dans ces conditions, sa disparition est préférable à une wrongful life. »
Peut-être est-il encore temps de se poser la question si chère à Yuval Noah Harari, « Que voulons-nous devenir? » Le roman de Gilles Jobidon nous invite à y répondre. Le titre Cloud, n’est pas choisi au hasard. Ce qui est emmagasiné, conservé, récupéré, transmis même par l’intelligence robotisée serait-elle en train d’estomper la nôtre? Entre la naissance et la mort, qui et quoi gèrent donc notre vie? Gilles Jobidon offre un roman ambitieux qui jette une grande clarté sur la grande noirceur qui nous guette.
Oulala, ca donne la chair de poule, ça semble presque réel! Alors comme vous dites si bien, ça va prendre beaucoup de poésie au menu!
Merci Vina!
Merci pour cet excellent texte qui exprime de façon plus claire ce que j’ai pu ressentir à la lecture de ce livre déstabilisant. C’est une invitation à le relire sous un nouvel angle en osant mettre de côté certaines normes apprises dans l’écriture du roman. Une histoire qui fait réfléchir, rire et pleurer…
Marie
Quelle belle écriture, une présentation qui m’enthousiasme, m’invite à me procurer ce roman nouveau genre dont l’intrigue m’apparaît de plus en plus vraisemblable hormis l’arche, aide médicale à mourir, guerres dévastatrices, IA, etc., tout pour perdre le contrôle de soi, reste la poésie dont les codes deviennent des bases nouvelles pour la foi.