Lettre vagabonde – 17 mars 2004
Cher Urgel,
Je suis entourée de tant de mots que je ne sais où poser les miens. À dire vrai, j’ai de la belle visite à ma table. Des poètes. Ils sont venus préparer la Journée mondiale de la poésie, le 21 mars. Tous ont apporté leurs mots en vue du grand festin littéraire.
Madeleine Gagnon n’est pas arrivée les mains vides. Elle porte Le chant de la terre au grand complet. Dès l’aube, José Acquelin s’est présenté sur L’inconscient du soleil. Herménégilde Chiasson portait à son bras L’oiseau tatoué. Raymond Guy Leblanc le suivait avec La mer en feu. Patrice Desbiens nous sert ses Rouleaux de printemps tandis que Serge Patrice Thibodeau joue avec Le quatuor de l’errance. Hélène Harbec vient et Va accompagnée du grand quêteux Sylvain Rivière qui parcourt les «Chemins de l’exil». «Des ombres portées» par Paul Chanel Malenfant se penchent sur Les mélancolies de Martine Audet. Tania Langlais se joint à eux avec ses Douze bêtes aux chemises d’homme. Deux fantômes se sont faufilés parmi eux : Sylvia Plath avec ses Arbres d’hiver et le Gardeur de troupeaux qu’est Fernando Pessoa. Et puis qui danse les pieds entre les vers? Nul autre que Raôul Duguay tout en rigodon poétique Entre la lettre et l’esprit.
À l’occasion de la Journée mondiale de la poésie, je veux t’offrir Urgel des pétales de poèmes. Chaque artisan du verbe autour de ma table déposera sur cette feuille des essences de poésie. Tu peux choisir des vers et les exposer dans ta demeure. Les pièces fleuriront en tous les sens et à toutes les sensations. Je laisse la parole aux poètes.
Madeleine Gagnon :
« Pendant que sur l’autre versant du jardin se récolteront les ruines et les obus et les poudres d’atomes et les bactéries mangeuses d’êtres, par les hasards des courants et des vents, lançons le coup de dés du poème jusqu’à la lie du mal. »
José Acquelin :
« les humains s’étagent en maisons sandwichs
ils regardent à l’écran la vie qu’ils n’ont pas
ils retourneront trimer à ce qu’ils ne sont pas
en continuant de viser ce qu’ils croient pouvoir être
« je prends le feu de naître
je traverse des fenêtres
je givre ma cornée
avec le seul poids d’un flocon de neige »
Herménégilde Chiasson :
« Entre le jour et le vent
le temps improvise une musique
nuages en accéléré
cœur en pleine bousculade
tout ce qui circule m’attire
la vie à profusion »
Raymond Guy LeBlanc :
« Pour écrire un poème
Il suffit d’une plume ou d’un crayon
Une machine à écrire et du papier
Du papier de toilette ou de restaurant
Un calepin un cahier la pluie le soleil
Un monde qui marche habillé ou tout nu
Un verre de bière du haschish un café du lait
Assis ou debout couché ou à genoux »
Patrice Desbiens :
Un moment de silence dans la vie d’un poème
« Entre la tristesse
de l’âme et
la rillette de veau
une seconde
c’est long
dans la vie
d’un poème »
Serge Patrice Thibodeau :
« Les mains pleines de mots. C’est tout ce qu’il me reste. Quelques sous pour rentrer chez moi. Nulle part. Et quelques mots.
Hélène Harbec :
Enterrement
«Aujourd’hui même
à 11 h 11
j’ai enterré
une dizaine de poèmes
je leur dois
toute ma gratitude
de m’avoir soutenue
jusqu’au bout
qu’ils reposent en paix
dans la terre des mots »
Paul Chanel Malenfant :
Au sortir du rêve
Comme on retrouve l’air du temps.
Sursis.
« Ton encrier sur la table.
La tache de naissance à ton poignet.
Dans le cahier, la phrase soulignée. »
Martine Audet :
« Je m’assois à l’autre bout
de moi-même.
Il y a peu de vérités.
Il y a celles où nous passons
Dans le froid soleil de décembre.
Tania Langlais :
« avec tout ce savoir-faire qu’il avait
pour démonter les décors
il a dit : « je te laisse l’histoire et deux robes neuves »
Sylvia Plath :
Ces poèmes ne vivent pas : c’est un triste diagnostic.
Ils ont pourtant bien poussé leurs doigts et leurs orteils,
Leur petit front bombé par la concentration.
S’il ne leur a pas donné d’aller et venir comme des humains
Ce ne fut pas du tout faute d’amour maternel. »
Fernando Pessoa :
[ Plutôt le vol de l’oiseau qui passe sans laisser de trace,…
… Passe, oiseau, passe, et apprends-moi à passer!]
Raôul Duguay
« le poème naît d’un mince amas de mots écrire
c’est pétrir l’argile de son chaos le plus intime
mordre mâcher manger sa propre poussière
mais mal choisis les mots meurent d’inanité
le mot naît d’un amas de lettres libre écrire
c’est sculpter la forme de son vide intérieur
pour faire planer l’esprit entre chaque syllabe. »
Sylvain Rivière :
« Les mots libérateurs de soi d’abord, de peuples, de pays… de traversée du temps. Ils nous prennent à leurs bords et nous tracent des chemins que nous ne savons pas encore. Les mots sont liberté… »
Tu te demandes probablement comment j’ai fait les choix. Ce sont les poètes qui ont choisi. C’est certain que j’ai mes préférences. Te les dévoiler ne serait pas poli pour la visite. Le Devoir du 13 et 14 mars divulguait les noms des treize recueils de poésie canadienne-française choisis par la « League of Canadian Poets. » Ce sont des incontournables d’après des organismes et des individus qui s’intéressent à la poésie. Tu peux les trouver sur leur site web : www.poets.ca « Répertoires » d’Herménégilde Chiasson y figure.
Tu peux ajouter un poème à la liste de mes visiteurs poètes : le tien. Voici, un petit dernier de moi pour t’encourager à laisser libre cours au poète en toi.
« Je suis feuille de petit matin
par l’œil bombé de mes veines
j’offre l’envers du monde
en une perle d’eau »
En passant, avril est le Mois national de la poésie. Passe le mot. De la poésie, il n’y en a jamais trop.
une visiteuse de Parnasse
Alvina