Lettre vagabonde – 12 septembre 2007
Salut Urgel,
Je viens de terminer le tout dernier essai du philosophe Pierre Bertrand. L’intime et le prochain décrit la complexité de la relation entre les humains. À mon avis, son essai se rapproche plus de la psychologie sociale et politique que de la philosophie. On devine un cheval de bataille à l’arrière-scène : les effets de la guerre en Irak et la montée du terrorisme. Son essai analyse entre autres la confrontation des identités, source d’incompréhension et de conflits entre les humains. L’auteur semble exiger un dépouillement complet de notre identité si l’on veut rejoindre l’autre.
J’ai découvert Pierre Bertrand avec Éloge de la fragilité, un essai qui m’avait propulsée hors des cadres philosophiques habituels. La philosophie s’insérait à l’intérieur, dans la vie quotidienne. À partir des réflexions de Pierre Bertrand, de nouvelles pistes surgissaient. Le philosophe a continué de m’ouvrir des portes avec ses œuvres subséquentes. La créativité est au cœur de son discours. Il fait l’éloge de la nature, insiste sur la contribution des animaux à notre évolution. Il affirme que nous sommes de la même famille. Jusqu’à présent les ouvrages de Pierre Bertrand m’avaient insufflé cet élan qui pousse à se dépasser ou du moins à se réaliser pleinement. Dans L’intime et le prochain j’ai senti la leçon irréfutable du professeur corriger celle du philosophe. Malgré une introduction éclatante sur l’identité, le thème se ramifie en de multiples facettes de relations humaines jusqu’à dénoncer les éléments qui nous portent à entretenir une solidarité avec les autres. J’y ai perdu mon latin. Peut-être est-ce parce que la lecture faisait trop contraste avec l’événement vécu en fin de semaine.
Nous étions une dizaine d’amis réunis pour célébrer l’anniversaire d’une des nôtres. Aux années d’amitié se rattachent des souvenirs que nous ramenons en plusieurs versions. Qu’importe si on recrée le passé pour un moment ! Des projets communs continuent de nous rassembler. L’amitié nous lie, nous identifie en quelque sorte. Ce lien remplit le besoin de solidarité, d’échanges et d’appartenance. L’anniversaire d’une amie prend les proportions d’un événement important. C’est un jour férié, propice aux rencontres. Chaque année accumulée marque indéniablement le cours du temps sur chacun d’entre nous. Les années se resserrent à mesure qu’elles s’écoulent. Le passé de chacun occupe une place prépondérante dans le présent de tous. Après tout le passé nous a réunis. Le passé est composé d’images, de mots, d’objets qui nous identifient comme groupe et comme individu. Dans L’intime et le prochain Pierre Bertrand explique que l’image bloque la vie, que les choses n’ont pas besoin de noms et que le passé est un boulet. Mais où est donc la vraie vie? J’ai probablement mal saisi le message que le philosophe a voulu transmettre. L’intime et le prochain me laisse un fardeau lourd à porter. J’irai peut-être me réconforter du côté de Claudia Rainville avec Métamédecine des relations affectives.
Entre temps, je persiste à croire en la sincérité des liens d’amitié malgré les convictions, les connaissances et les croyances qui nous distinguent. Si nous nous amusons encore autour d’une bonne table et d’agréables conversations, si nous chantons et dansons ensemble, il existe sûrement une force affective qui compose avec nos différences. Pierre Bertrand écrit : « La vie se déroule peut-être entre deux néants, mais c’est précisément ce qui « se déroule entre » qui importe. » Il a peut-être raison. Si je ne suis pas à la hauteur de la pensée du dernier ouvrage de Bertrand je m’en console avec ces propos d’Annemarie Schwarzenbach : « Nous songions que c’est une chance de trouver des amis avec lesquels on se sent en harmonie, lié par un lien fraternel. Vivre quelque part avec eux, voyager, penser avec eux, se renforcer mutuellement de l’intérieur et s’aimer nous semblait être notre privilège. »
Quand tu auras lu L’intime et le prochain empresse-toi de partager tes réflexions avec moi.
En toute amitié,
Alvina