Bercer le loup de Rachel Leclerc

Lettre vagabonde – 2 novembre 2016

Un roman et son déclencheur : les expulsés du territoire de Forillon. Le récit qui s’ensuit se prête à une toute autre dynamique. Bercer le loup relate notre rapport à la Terre par l’entremise de personnages attachants et complexes. L’impact du lieu où l’on vit, de son influence sur nos valeurs et notre vision du monde sont des incontournables chez Rachel Leclerc.

Il existe un lien évident entre la connaissance des gens et la fréquentation de leur territoire.
L’auteur nous convie au bout du monde où se joue un drame pour des centaines de familles : l’expulsion de leur village que le gouvernement fédéral transformera en parc national. Nous suivons une famille en particulier, celle de Louis et Michelle. Louis léguera à ses enfants et petits-enfants sa haine et son ressentiment en même temps que « la poésie des nuages plutôt que l’odeur et l’argent ».

Le récit raconte la vie de Louis et Michelle, leur fille Marina et leur petite-fille Janice. Janice assure la vengeance de son grand-père. Elle en fait sa mission d’adolescente. Bon nombre d’œuvres de l’écrivaine ne laissent pas les morts ensevelis ni leurs souvenirs s’éteindre. Les grandes blessures se transmettent par l’inconscient affirme l’auteure. Les morts sont des émetteurs complices des vivants. Bercer le loup est un roman tout en rebondissements, en exploration profonde du territoire gaspésien. L’auteure possède la faculté d’asseoir les morts et les vivants à la même table, de les lancer dans la même aventure. Elle nous livre l’histoire en un style cohérent et admirable. Rachel Leclerc est une poète qui écrit des romans. Ses phrases ont la force des grandes marées et la douceur d’un coucher de soleil sur la baie des Chaleurs. Sur fond de recherche d’identité, du rêve d’un chez-soi, Bercer le loup démontre que le passé sert de tremplin où plonger dans l’avenir. Un roman qui peint le vrai au tableau de l’imaginaire. La romancière écrit « La terre n’appartient à personne en réalité, elle obéit à la loi du plus fort. » L’écrivaine entreprend la traversée d’une identité, d’une culture et d’un attachement à leur pays de mer et montagne par une population de résistants. Pas étonnant donc que chacun d’entre nous cherchons à conserver et protéger ce territoire que l’on porte à l’intérieur et qui nous maintient vivant.

Rachel Leclerc possède ce talent de pouvoir sonder un territoire, de s’y laisser absorber comme s’il était le sien. Elle réussit ce que Marguerite Yourcenar souhaitait à tout romancier. « Bien voir un pays c’est essayer de le connaître et jusqu’à un certain point de le faire sien dans son présent et son passé, tâcher de voir enfin ce qu’il signifie pour ceux qui y vivent. Bien peu de gens s’appliquent à tout cela. »

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