Lettre vagabonde-19 avril 2022
Orange Pekoe est une histoire d’empreintes de lieux et de liens qui se créent et se perpétuent entre générations. C’est le récit d’un grand-père et de son petit-fils à travers le regard empathique de ce dernier. Benoît Bordeleau nous donne rendez-vous en ville et dans une ferme à la campagne. Que de frontières à arpenter, celles des lieux géographiques, celles des générations et les autres, réelles ou imaginaires, qui protègent ou limitent! Benoît Bordeleau accorde une place majeure aux lieux dans sa vie. « Les lieux ne sont pas devant nous : nous les portons en nous quelque part sous le larynx, ou ils s’empilent, se mêlent et se défont. »
Il se dégage de Orange Pekoe des particules d’amour, de respect et de transmission. L’amour entre l’auteur et son grand-père bien ancré au cœur de l’enfance éclaire les lieux d’une luminosité vivifiante. À la table de la cuisine, les confidences rassurent devant deux tasses de thé, le journal, « le pain grillé trempé dans le sirop. » Puis la marche, la grande main fragilisée déjà enserrée dans la petite pour l’aller-retour jusqu’à la boîte aux lettres. Chaque incident, si minime qu’il soit, prolonge la vie, l’ancre au cœur et se dépose dans la mémoire. « Des gestes chaque jour perdus et repris, à l’heure du thé, oubliés et réappris clandestinement par les générations à venir. Il faut résister à tous ceux qui y verraient une banalité. » L’auteur enjambe les années, revient sur un geste, une parole. Il traverse les âges, les êtres chers en évitant le temps linéaire. Il le rend flexible, le retire, le prolonge sur la trajectoire des souvenances. « La mémoire est une excroissance de la route » écrit-il.
Quelques regrets se pointent à l’horizon, comme celui de ne pas avoir suffisamment recueilli ce que le vieil homme avait semé de précieux en son jardin de vie. « Je n’ai jamais demandé au grand-père de me raconter des pans de sa vie… alors j’ai observé et j’observe toujours : j’accumule et je range les moments de présence avec soin… dans une grande boîte de carton, remplie d’enveloppes et de sacs en plastique. » Benoît Bordeleau tente de retenir l’âme assaillie par un corps usé, une mémoire dépossédée. En la racontant, l’auteur prolonge la vie du grand-père. Transmettre afin de ne pas oublier. Les images défilent sur des pages de textes brefs, parfois de quelques lignes seulement pour ne saisir que la lumière ou la part d’ombre. On dirait une retenue respectueuse devant une boîte de souvenirs.
À l’heure où la vieillesse s’occupe à mourir derrière la porte de la solitude, une jeunesse vient au secours d’une mémoire que l’âme habite encore. Il restera toujours des lieux à parcourir sur les traces des disparus. Prendre la vieillesse par la main, ratisser le chemin de l’enfance, en recueillir la tendresse d’une généreuse complicité, voilà où nous mène Benoît Bordeleau. Le récit invite aux retrouvailles, à récupérer du passé les repères de l’avenir. Il a réussi à intégrer à son histoire l’histoire d’un homme en allé. Son deuil s’accroche à des fragments de vie. Cette vie qui se dépose en nous d’une génération à l’autre, l’auteur a su en sauvegarder l’empreinte déterminante. « On se fait à force de récolter les bouts de tessons, en jouxtant sa vie à celle des autres pour s’intégrer à des milieux, à soi-même, à notre voix chevrotante. »
. »Transmettre afin de ne pas oublier », écris-tu chère Alvina dont je commence à m’ennuyer sérieusement…C’est exactement ce que tu sais si bien faire depuis longtemps en écrivant tes Lettres Vagabondes et en nous les partageant si généreusement.
Chère alVina, ta chronique me touche particulièrement fort ces temps-ci où je suis sensible plus que jamais aux relations ‘jeunesse-vieillesse’… merci de partager tes lectures avec une telle profondeur et sensibilité!
Je ne boirai plus mon thé du midi de la même manière. Orange Pekoe, un mélange harmonieux et paisible de tendre jeunesse mêlé à une vieillesse honorable plongé dans une mémoire obligée, semble-t-il! Succinct et incitatif.
En sirotant mon thé Orange pekoe, le favori des singes et de moi-même, je regardais par la fenêtre du salon, les arbres dansés par des vents qui poussaient aussi neige, grésille et la pluie ce 19 avril 2022.
J’ai cliqué sur un partage de Marie-Clair sur FaceBook, un partage qui ouvrit ta Lettre Vagabonde.
Je l’ai lu trois fois. En passant, j’aime beaucoup « ta plume »
J’ai aussitôt pensé à mes deux grand-pères, grand-mères, mon père, ma mère. À tous les sujets de discussions et questions que je n’ai pas jasés ni demandés. Pourtant j’en ai demandé plusieurs et jasé un tas mais j’en ai manqué une montagne.
Alvina, je te remercie de m’avoir fait revivre ces moments de jasettes et questions même celles que j’ai manqués. Tu diras ou écriras à ce Benoît, que j’aimerais lire son livre.