Lettre vagabonde – 10 septembre 2014
Christine Eddie nous offre un troisième roman d’une exceptionnelle qualité. Je suis là, une histoire hors du commun abordée d’une façon originale et surprenante. Dès son premier roman Les carnets de Douglas, se pointait une voix distincte, une voix démarquée déjà par son style propre. L’auteure réussit dans un même souffle à embrasser le tragique et le comique d’une vie. L’allégorie et autres figures de style animent le texte. La juxtaposition fait effet. Le passage d’une vie dans une phrase : « On débarque, on s’installe sur un banc d’école, on travaille où on peut, on tombe amoureux. » C’est tout plein de phrases magiques qui s’attroupent à la porte du cœur. La beauté est éminente, l’émotion sans cesse ravivée. « Avoir envie et avoir peur à la fois de vivre et de mourir, est un travail exténuant que je ne souhaite à personne. » Une réflexion magnifique pour aborder à la fois la désespérance et le courage d’Angèle, figure dominante du roman. Des paragraphes entiers se lisent comme des poèmes en prose.
L’écrivaine chevronnée sait manier le langage, le ciseler en une forme narrative singulière et unique. Elle maîtrise la plume sans délester ses personnages de leur liberté. Un tour de force dans le cas d’Angèle, personnage réel et fictif. Une histoire vraie affirme l’auteure, mais une histoire où l’imagination a le dernier mot. Défilent sous nos yeux une ville, Shédiac, un foyer de soins, des résidants, des employés et ce goût de vivre qui s’emparent des êtres.
Je suis là traduit la sincérité à sa plus simple expression. Lorsqu’Angèle raconte, j’ai l’impression d’entendre une conversation familière dans cette écriture de l’intime. Une dose équilibrée de confidences et de secrets, d’aveux et de retenues nous suspend à l’intrigue. J’ai été happée par le récit poignant et troublant qui retrace le parcours d’une personne blessée sans tomber dans la pitié ou l’apitoiement.
Christine Eddie sait dégager d’un récit une fraîcheur, un espace aéré pour évoquer et interpréter, un temps pour pressentir et ressentir. En lisant Je suis là, j’ai le goût de jouer un rôle, d’occuper une petite place dans le quotidien se déroulant devant moi. L’accident qu’elle identifie comme le tir groupé, Angèle l’intègre à son destin. « À y regarder de près, c’est pourtant bien le destin qui m’a tranquillement fabriquée et, si je déroule ma vie, je constate que l’écheveau est peut-être pétri de coups de dés, mais que chacun se rattache au précédent. »
Un tour de force que de donner la parole à Angèle, de lui donner le rôle de narratrice car suite à son accident, ses cordes vocales ne répondent plus. À celle qui n’a plus de mot, l’auteure offre le langage. La narratrice fait appel à son ami imaginaire, Népenthès, qui la supporte dans ses malheurs et la sauve de l’isolement fatal. Ça donne envie d’avoir plus de considération pour son propre ami imaginaire.
J’aurais souhaité que l’histoire d’Angèle se poursuive pour écouter encore la musique de l’espérance jouer ses airs de bonté et de coopération. « Je suppose qu’il faut toujours un big bang pour que les cœurs se dilatent et que le regard se dirige au-delà du seuil de sa propre entrée », d’écrire l’auteure. Je suis là contribue à colmater les plaies trop vives des souffrances humaines. Surtout, il offre l’espoir, le seul antidote à tous nos maux. Le drame de l’humanité s’allège lorsque l’on s’attarde le temps d’une lecture, du côté de la bonté et de la compassion, de la solidarité et de la collaboration. Telles sont quelques-unes des valeurs fondamentales qui se dégagent de ce roman.
J’ai apprécié l’attention que l’écrivaine porte aux arts. J’ai aimé les clins d’œil à la musique, la place accueillante faite à la littérature. « Si la terre se dépossédait de sa musique, je crois qu’elle s’effondrerait de chagrin. » Un beau plaidoyer pour l’univers littéraire que cet extrait : « Sans lecture il n’y a pas de mémoire, plus d’accès à la connaissance, plus de magie, plus de tremplin vers de nouvelles expériences, de nouvelles écritures, de nouvel héritage. »
La romancière réussit à effacer par la force de son écriture les couches d’indifférence qui encrassent les cœurs. Voilà que mon ami imaginaire me prie d’adresser un gros merci à Christine Eddie pour l’embellie extraordinaire que nous prodigue son œuvre littéraire.