Quand le brouillard se dissipe

Lettre vagabonde – 15 mars 2014

Le couperet tombe dès les premières pages : la mort de la mère. « On ne perd sa mère qu’une fois. C’est l’enfance extirpée de ses chairs. » Mais voilà, cette mort est inachevée, elle se perpétue à l’infini. Si la vie a une finitude, la mort, jamais. Elle oscille entre souvenirs et oublis. Si mourir est un geste de disparition dans l’espace, il s’avère instable dans le temps.

Joanne nous entrouvre une à une les pièces sombres où la mort a déjà entamé son œuvre. « Tu avances à court d’air […] Tu continues à avoir mal ici, alors que tu es ailleurs. » L’auteure témoigne de cette enfilade de dissolutions, à peine perceptible, qui conduit à l’inexorable vide. J’ai trouvé l’entrée discrète, la porte à peine entrebâillée comme si la douleur, le silence, le secret retenaient là le déploiement habituel du poème. On n’entre pas aveuglément au royaume des disparus. Joanne nous prépare subrepticement, nous retient en un respect imposant avant de nous propulser en une succession d’images hors de la marge, vers le temps indéterminé et jamais tout à fait révolu. La mort affiche sa durée sur une date du calendrier, en une saison marquée par la construction d’un nid, « la chaleur qui pèse lourd »; les outardes qui s’assemblent, une oie blanche sur fond blanc. » « Une seule image par mois au calendrier. On nous aura appris l’alphabet du temps. De quoi ranger les mots parmi les saisons. »

Chaque chant poétique de Joanne Morency entame de nouveaux accords, compose une nouvelle symphonie. La scène toujours aussi vaste que le grand large, aussi élevée que les sommets des Appalaches et toujours aussi intime qu’un chaton allongé au fond du jardin. C’est là qu’elle prend sa source, où elle puise sa poésie. Du bout de son regard transcendant, elle se saisit de l’ici et maintenant, de l’instant qui ne sera plus jamais accessible de cette façon-là. La force poétique du recueil réside justement dans ces moments captés et transmis dans leur plénitude. Elle a fait siens les propos du philosophe Pierre Bertrand : «C’est parce que chaque chose n’arrive qu’une fois, la première et la dernière, comme la vie, tout entière, qu’elle s’avère si précieuse et que tout le sens disponible se concentre sur elle. »

Au fond, rien ne meurt tout à fait dans Ce bruit de disparition dont les poèmes en prose témoignent à la fois de la permanence et de l’impermanence. Ce qui reste, c’est ce qui fut aimé, ce qui fut tout simplement.

Ce qui m’attire, me bouleverse et m’alimente dans la poésie de Joanne, c’est son pouvoir évocateur traversé de métaphores et de particules d’immortalité. La mort définitive attendra tant et aussi longtemps que la poésie de Joanne Morency insufflera de la vie dedans. « Nous inventerons l’avenir. Un battement de cœur à la fois. Le  dos droit. » De la poésie de ce genre, j’en redemande.

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