Lettre vagabonde – 18 juin 2009
Cher lecteur,
Les lectures d’été, tu connais ? Les journaux et les revues t’en mettent plein la vue en y allant de leurs suggestions. Du polar au livre de recettes, du traité du jardinage au Barbecue. On a tendance à promouvoir une lecture légère pour les vacances. Je ne trouve rien de léger à lire des volumes qui te forceront à passer des heures dans ta cuisine à concocter quelques nouvelles recettes ou à l’extérieur à griller devant ton Barbecue. Comme il y a des jours et des mois consacrés à la commémoration de personnes et d’événements, on instaure des saisons en lecture. Mais qu’est-ce donc qu’un livre d’été ? Qu’est-ce qui le distingue des autres saisons ? On t’a déjà offert des moissons d’automne, des refuges pour l’hiver ou des bouquets de printemps. Je crois que la question à se poser c’est : « Qu’est-ce que j’aimerais lire cet été ? Une autre bonne question : « Quel genre de vacances est-ce que je veux bien m’accorder ?
Peu importe le genre de vacances projetées, un livre dans les bagages t’assurera de rencontrer l’inattendu et de te retrouver ailleurs. Tout dépendra de l’auteur, du sujet et de toi, surtout de toi. Peu importe, me diras-tu, on lit toujours pour connaître la fin de l’histoire. Soit. L’histoire te conduira peut-être au cœur de la tienne avant la fin. Lors d’un voyage en autobus sur huit cents kilomètres entre Pointe-à-la-Croix et Montréal, j’ai lu Les silences de Louise Desjardins. L’isolement et la souffrance derrière ces silences me présentèrent un autre visage de Montréal. L’itinérant s’est transformé en Robinson Crusoé moderne, plus isolé et abandonné dans la ville que sur une île déserte. Des regards perdus dans le métro m’ont ramenée au personnage de Louise Desjardins qu’elle présente ainsi : « le silence prend le métro / pour observer les autres silences / qui vont dans un bureau / tous les jours de neuf à cinq / noyer les regrets de leur désir /. Lors d’une randonnée dans les montagnes de la Gaspésie, j’ai rencontré Isabelle Eberhardt, cette infatigable écrivaine-voyageuse du désert, en plein Sahara. Je me suis approprié l’insouciance des nomades et les incertitudes de l’auteure. Les modestes refuges ont quadruplé de confort en apprenant que Isabelle Eberhardt dormait à la belle étoile, écrivait sous 45°C à l’ombre, appuyée à un vieux baril de pétrole. Tout en foulant les sentiers de la Gaspésie, je marchais avec Isabelle « sur les routes désertes du Sud, de longues heures sans tristesse, sans ennui, vagues et reposantes, où l’on peut vivre en silence… » Comme elle, « Je n’ai jamais regretté une seule de ces heures perdues. » Sud Oranais a enrichi ma randonnée grâce à un beau grand détour.
Depuis que je voyage avec des livres, l’étonnement et la découverte sont garantis. Si tu veux aiguiser tes connaissances, les livres se feront explorateurs, savants, astronomes ou historiens. Si tu cherches le repos, ils t’inviteront au pays du rêve et refleuriront ton jardin intérieur de calme et de silence. Aucun autre objet ne réussira à répondre à tes besoins ni à combler tous tes désirs.
Trouver le bon livre n’est pas évident. Il faut de l’audace pour partir à sa recherche. Les lieux de documentation imprimée semblent nous gêner, nous indisposer tant qu’on n’y a pas mis les pieds. Pourtant, ces lieux sont dotés d’une liberté rare de nos jours : le droit de flâner. La bibliothèque et la librairie sont les deux seuls endroits où tu peux flâner à ta guise et ce gratuitement. Tu peux y passer des heures et sortir les mains vides sans que l’on te fasse le moindre reproche. On t’encouragera plutôt à revenir.
Je n’ai pas toujours voyagé avec des livres dans les bagages. Je me souviendrai de ma première intrusion dans une bibliothèque publique. Je passais mes étés chez mon père à Hull. Je n’y avais ni ami ni jeu. Mon père travaillait. Je m’ennuyais. Un jour en errant dans un quartier de la ville, je remarquai la bibliothèque publique. Hésitante, mais poussée par un besoin inexplicable, j’entrai. Des tables et des rayons de livres : le paradis. Un paradis que je n’aurais pas encore mérité. Je m’avançai vers la première table, la timidité m’empêcha d’aller plus loin. Un volume était déposé là. Je le pris. C’était La mère de Maxime Gorki. Si la bibliothécaire ne s’était pas mise à toussoter, je serais encore en Russie avec Maxime Gorki. C’était l’heure de la fermeture. J’ai voulu emprunter le volume. Impossible. Je n’étais pas de la ville. Après une semaine de fréquentation passionnée des livres, on m’accorda enfin la permission d’en emprunter. L’ennui disparut. Chaque jour, j’entreprenais un nouveau voyage à travers le monde. Le dimanche, quand mon père et moi roulions vers les villes et les villages avoisinants, l’univers se mit à ressembler drôlement à celui des romans ou est-ce le contraire ?
Cher lecteur d’été, sois audacieux. Flâne dans les bibliothèques, fouine dans les librairies. Demande conseil à tes amis. Nancy Huston te dira que « prendre la clé des champs n’est nul autre que la clé magique des mots. » Est-ce toi lecteur qui propage les lectures d’été ? Si tu oublies le travail, les obligations sociales, les engagements juste pour répondre à la demande des autres, tu profiteras alors de la lecture. Vole du temps, exige la solitude, trouve refuge dans les mots. Crois-moi, le lecteur d’été est plus important que les lectures d’été. L’auteur écrit un livre. Les lecteurs le multiplient. Les lectures d’été ont grand besoin de toi cher lecteur. Bonnes trouvailles !
Alvina