José Saramago et la vie sans fin

Lettre vagabonde – 26 novembre 2008

Chère Jeanne,

On parle de crise lorsqu’une situation devient hors de contrôle. Elle peut être d’ordre naturel comme les séismes, les ouragans et les inondations. Le plus souvent, elle est d’ordre politique ou économique comme la guerre, les conflits armés, les coups d’État ou l’éclatement du marché boursier. L’écrivain portugais José Saramago, aborde dans son dernier roman une situation de crise inusitée, voire invraisemblable, même si elle est portée par un rêve commun chez la majorité des humains : l’immortalité du corps.

Les intermittences de la mort nous convie à une expérience nouvelle, exceptionnelle. Dans un pays jamais nommé, dès la première seconde de la nouvelle année, plus personne ne meurt. José Saramago n’est pas le premier à traiter du sujet. Simone de Beauvoir a eu un personnage immortel dans Tous les hommes sont mortels. Dans Le grand secret, René Barjavel imagine une île où la mort n’existe pas. L’originalité de José Saramago est dans le contenu, sa manière de traiter le sujet de la vie ou plutôt de la mort. Il en fait une parodie qui tient en haleine du début à la fin.

Dès que la population reconnaît son statut d’immortel, c’est l’euphorie. Jamais pareil phénomène ne s’est produit auparavant. Plus aucun décès n’est enregistré. Le gouvernement fait appel à la population de conserver son calme jusqu’à ce qu’un comité étudie la question et qu’une enquête soit amorcée. Entre temps la vie continue et se perpétue. Les personnes ne meurent plus de vieillesse, ni de maladie, ni suite à de graves accidents soi-disant mortels. Tous les médias s’emparèrent du plus grand événement dans l’histoire du monde et enflèrent les rumeurs, et chauffèrent les esprits. Les foyers de soin joliment nommés « le lieux du crépuscule heureux » commencèrent à déborder. On enjoignit les familles de garder leurs parents âgés et malades chez eux. Les hôpitaux bondés refusèrent de nouveaux patients.

Mais non, je ne vais pas te raconter au complet cette histoire loufoque et drôle. Si la satire est présente, l’humour t’entraîne bien au-delà de l’absurde. Imagine la dépression chez les entrepreneurs de pompes funèbres et le chaos à tous les paliers du gouvernement. Des compagnies d’assurance-vie reçoivent des millions d’annulations de polices. Mais là où l’immortalité blesse le plus, c’est au niveau des religions, la catholique surtout. L’Église est non seulement menacée de faillite mais de disparition. Le paradis et l’enfer n’ont plus qu’à fermer leur porte. José Saramago m’a fait réaliser que sans la mort, l’Église perd son pouvoir et sa raison d’être. Foutus les dogmes, surtout celui de la résurrection des corps.

La population trouvera bien un moyen de provoquer la mort de ses mourants. La « maphia » flairera là un commerce rémunérateur. Et la mort elle, la mort, après un an de relâche désirera reprendre son boulot. Elle a eu le temps d’inventer d’autres moyens de venir récupérer son monde. Mais quelle histoire !

José Saramago écrit dans un style très particulier. Des phrases longues, abondance de virgules, le point rare. Les dialogues sont imbriqués dans les phrases et le lecteur doit rester alerte. De toute façon, l’auteur ne manquera pas, à l’occasion, de s’adresser directement à toi. Mieux vaut être vigilant au lieu de passer pour un étourdi.

Les intermittences de la mort me fut fortement conseillé par Jocelyne, sœur de mon amie Margot. Une belle trouvaille. Il est si rare de tomber sur un roman qui fait rire et réfléchir en même temps. Si le rire est assuré, un regard critique sur notre société s’impose. José Saramago nous conduit dans l’antichambre du gouvernement, de la « maphia » des systèmes sociaux et de l’Église. La corruption bat son plein et les mensonges passent pour des vérités éternelles. La crise devient économique comme toutes les crises du monde moderne.

José Saramago a obtenu le prix Nobel de littérature en 1998. Il est reconnu comme explorateur de la condition humaine. Certains de ses livres ont fait scandale comme L’évangile selon Jésus-Christ. Il possède à son actif une douzaine d’œuvres littéraires. Si ses autres romans contiennent autant de propos humoristiques, satiriques dans toutes les facettes des relations humaines, vite, qu’on me suggère fortement un autre José Saramago. Jocelyne avait raison, il me fallait absolument profiter du bonheur de lire Les intermittences de la mort. Entre temps, si tu trouves une enveloppe violette dans ta boîte aux lettres, méfie-toi. La mort n’a pas écrit son dernier mot.

Amicalement,

Alvina

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