Lettre vagabonde – 18 juin 2008
Cher Urgel,
Les grandes vacances approchent et des projets de voyages s’y accrochent. Les gens viendront en Gaspésie pour ses belles choses à voir, la nature surtout. La montagne y courtise la mer. Les petits villages lovés au creux des anses lancent les bateaux au bout des quais. Les fleurs sauvages s’enflamment au soleil. Les forêts s’ouvrent sur des sentiers de découvertes. Des voyageurs poussent la curiosité jusqu’à s’arrêter dans les musées, entrer dans les galeries d’art, assister à une pièce de théâtre ou fouiner dans les boutiques d’artisanat.
Je t’invite à faire escale en un lieu peu fréquenté en Gaspésie, du côté de l’inusité, là où le paysage s’avance au-delà de l’horizon. Tu pourras circuler à ta guise en toute légèreté d’être au pays de l’écriture de France Cayouette. La poète possède des antennes réceptives aux menus détails. Elle détient une riche collection d’espoir et de tristesse, de beauté et de moments magiques. Dans La lenteur au bout de l’aile, une centaine de haïkus au pouvoir mystérieux te convie à « ressentir une émotion très profonde oscillant entre un sentiment de grâce et de douce tristesse » écrit France dans sa préface. Elle t’entraînera où le visible s’entretient subrepticement, en toute simplicité, avec la profondeur des petites choses. France Cayouette, une virtuose du haïku, définit ainsi sa mission : « Par le haïku, je rends grâce pour cette grandeur contenue dans le petit. […] Je confirme qu’une chose arrive en tel lieu, à tel moment, qu’il n’y aura rien de plus, que c’est à la fois bien et merveilleusement suffisant. » Les haïkus de France ne suivent pas à la lettre les règles du poème japonais mais en respectent scrupuleusement l’esprit.
un héron s’envole
la lenteur
au bout de l’aile
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elle n’en finit plus
de déverser la nuit
la Grande Ourse
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l’horizon voyage
entre les canards en file
et l’eau
La poète n’écrit pas que des haïkus. Son tout nouveau recueil de poésie Jolie vente de débarras soulève les mots d’un coup de plume souple et agile. Sa poésie scrute, s’arrête et dévoile ce qui n’est apparent que dans la lenteur de l’œil pensif. Un bruissement du temps qui s’écoule, l’effleurement de l’espace qui entoure toute chose, on dirait la fragilité du monde dans la puissance d’un regard. En la poésie de France, la tristesse est délestée de son fardeau pour ne conserver que son intensité. Les poèmes exposent une suite de tableaux miniatures où se reflètent l’envers des choses. Des poèmes à relire sous les éclairages variés des émotions, à laisser leur emprise nous atteindre droit au cœur. Ceux-ci se sont imprégnés en moi.
Le cœur s’invente
des bruits d’horloge
l’infini tourne à droite
après la petite aiguille
et sa démarche d’aquarelle
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Autour
les choses frôlent
la plénitude
on les dirait sur le point
de se choisir un nom
France Cayouette est poète des lieux inusités où les choses arrivent à se donner un nom, et elle, à en cerner l’essence et l’essentiel. L’inatteignable et l’invisible enfin révélés sous sa plume fureteuse. Sa poésie a goût d’infini, voit l’ailleurs, sent la mer et la montagne. Sa voix atteint l’intensité des petites choses.
La voix de France est porteuse de poésie comme on porte sa personnalité. Son carnet de voyage est imprégné de haïkus. De Paris, elle écrit le 9 juin :
Du balcon ce matin
des bruits et la lumière
de Paris
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Jardins du Luxembourg
sous le regard d’une statue
prendre de l’ombre.
Voyager dans la poésie de France Cayouette, c’est traverser la Gaspésie dans ses paysages secrets, en ces ailleurs qui composent l’universalité des écrivains qui l’habitent. Pour lire La lenteur au bout de l’aile ou Jolie vente de débarras, installe-toi sur un rocher face à la mer, sous une épinette le long d’un sentier ou à la petite table au café. Installe-toi surtout dans la lenteur du moment. Et laisse le temps se passer de toi. France te souhaite de te retrouver seul, en territoire vierge dans un texte peut-être devenu le tien.
Amitiés,
Alvina