Lettre vagabonde – 2 novembre 2005
Salut Urgel,
As-tu déjà rencontré des liseurs ou liseuses de destin ? Par un concours de circonstances, je me suis retrouvée en présence d’une liseuse de tasse de thé. Julia, une enseignante à la retraite, une grand-maman à temps plein demeure une lectrice invétérée. Elle lit de tout et lit partout Julia, même les feuilles de thé.
Julia, généreuse de sa personne, écossaise d’origine, joviale de nature, offre de lire les tasses de thé des gens rassemblés chez ses deux amis. Aucun secret ni cachotterie dans le processus. Douze oreilles attentives sont installées au salon. La curiosité l’emporte sur la méfiance et à chacun de conserver sa tasse où les feuilles de thé se déposent, prêtes pour les révélations.
Consulter, interroger et interpréter pour comprendre ce que les êtres et les choses ont à nous révéler datent des temps immémoriaux. Nous sommes tous des lecteurs d’émotions, de la nature et des comportements. Même que nous nous amusons à prédire l’avenir des uns et des autres. Mais quand une personne s’apprête à lire notre destin, c’est autre chose. C’est comme si on lui accordait le pouvoir de le scruter voire de le transformer. Ces gens sont-ils dotés de pouvoirs surnaturels ou sont-ils simplement d’astucieux lecteurs? Énigme !
Dans mon enfance, c’était la coutume chez nous de faire lire sa tasse de thé par une tante qui venait partager le repas du dimanche avec nous. Selon mon frère et deux sœurs, ma tante Marie à mon oncle Sam (comme on l’appelait pour la distinguer d’une autre du même nom) s’adonnait à des prédictions qui finissaient par arriver.
On a beau croire ou pas, les liseurs de vie trouvent toujours preneurs. Certains lisent mieux que d’autres en les méandres du destin. Les chiromanciens lisent les lignes de la main, les astrologues, la carte du ciel et les géomanciens une poignée de terre qu’on lance sur la table. Carl Jung interprétait les songes avec autant d’aise que les cartomanciennes les cartes.
Sommes-nous des espèces de lecteurs qui perdons la capacité de lire l’être humain depuis que les machines ont pris la relève. Ne trouves-tu pas étrange que les médecins soient de plus en plus dépourvus de la capacité de diagnostiquer les problèmes de santé. On passe des tests, c’est lu en laboratoire et le médecin rapporte à son patient les résultats, si souvent négatifs.
Avec Julia, je m’interrogeais sur le destin d’un ami. Pourquoi a-t-il fallu deux ans de malaises avant que l’on puisse découvrir le problème. Peut-être qu’on est en train de désapprendre à lire les êtres à commencer par soi-même. J’ai l’impression que nous laissons notre destin entre les mains de machines complexes et sophistiquées. Quand ces machines identifient le problème, nous continuons d’en ignorer la cause.
Une copine mal en point depuis des mois me racontait récemment avoir passé une batterie de tests à l’hôpital et avoir enfin obtenu les résultats. Et puis ? que je m’empresse de lui demander. Ils n’ont rien trouvé. Mon médecin m’a dit que je n’avais rien. Comme dirait l’autre, si ça continue, elle va mourir de rien et en bonne santé de surcroît. Tout ça pour te dire qu’il n’y a pas que les enfants qui éprouvent des difficultés à lire.
En passant, si tu connais une bibliomancienne, j’aimerais bien faire lire mon destin à même un livre ouvert au hasard. Si jamais les prédictions de Julia révélées au gré des feuilles de thé au fond de ma tasse se réalisent, je t’en donnerai des nouvelles. Si j’y crois, ma vie n’a pas fini d’être passionnante. Rencontrer Julia, c’est déjà lire une belle feuille d’humanité insérée au volume de ma destinée.
Amitiés,
Alvina