L’humanité entière dans l’œuvre de Marie-Claire Blais

Lettre vagabonde – 12 novembre 2010

On a qu’à ouvrir Mai au bal des prédateurs pour que la conscience s’agite. Marie-Claire Blais nous propulse dans l’univers des grands remous où chacun tente de jouer son rôle. Dans ce cinquième roman depuis Soifs l’auteure s’engage, souvent à travers les mêmes personnages, à peindre une société qui nous renvoie fidèlement notre image. Nous nous retrouvons sur scène. Le choc nous réveille, nous éclaire et nous provoque. Impossible de donner libre cours à l’indifférence.

Des lecteurs et lectrices se plaignent de la difficulté qu’ils éprouvent à lire Marie-Claire Blais. L’économie des ponctuations, l’absence de paragraphes et le manque d’espace entre les idées déstabilisent. Nul doute Marie-Claire Blais exige de son lecteur un engagement complet et complexe. C’est justement cette écriture d’un seul souffle, telle une force de frappe, qui exige de lire la vie sans concession ni répit. Toutes les scènes se jouent simultanément en un seul acte. Se laisser saisir par ce tourbillon c’est devenir l’un des personnages. Difficile alors de quitter la scène.

Si l’auteure de Mai au bal des prédateurs requiert autant du lecteur, c’est pour lui offrir la grande tournée d’une époque bouleversée et bouleversante. La générosité, le don de l’écoute, l’acuité du regard chez Marie-Claire Blais, surgit de l’âme de cette femme autant que de la plume de l’écrivaine. Son empathie et sa compassion se reflètent dans ses personnages. Pourtant elle ne s’immisce point dans leurs affaires. Ils sont libres. « Chacun a ainsi un chemin, une route à parcourir, toute droite ou un peu tordue » souligne-t-elle. Loin d’elle les coups de jugements, la poigne contrôlante.

Mai au bal des prédateurs est une histoire d’amour, d’amitié et de solidarité à travers une époque où la violence augmente, l’injustice se répand comme la lave d’un volcan en éruption et où les droits sont lésés. Pourtant on survit grâce aux autres ou malgré eux. L’auteur écrit « … une fois emmêlés dans la vie, les uns les autres, ne faut-il pas vivre et survivre ensemble avec le même élan combatif, la même passion… »

Mai au bal des prédateurs est un roman qui dénonce l’indifférence d’une partie du genre humain qui ferme les yeux sur les atrocités commises au nom d’une politique, d’un dirigeant ou d’une religion. Elle parle de « coma de la conscience » et le personnage Dieudonné répète « que partout il n’y avait que cela peut-être, l’oubli, l’ensevelissement du malheur dans une conscience mondiale souffrant d’atrophie. »

Depuis Les Manuscrits de Pauline Archange je me nourris de l’œuvre de Marie-Claire Blais avec délectation. J’admire la profondeur de son regard qui scrute l’humanité entière. Son génie poétique transforme la laideur en beauté. Elle sait faire vibrer les cordes de l’âme. Son écriture me rejoint à toutes les époques et s’ouvre à tous les âges. J’ai eu la chance d’y accéder dès l’adolescence. Il y a urgence de lire l’œuvre de Marie-Claire Blais comme il y a urgence de changer le monde. Son style témoigne de cette urgence, sa poésie ravive l’espoir. « … il n’y a peut-être qu’un seul temps, qu’un seul âge, ce peu de temps qui nous est prêté pour mieux nous connaître les uns les autres, un temps d’emprunt sans rémission si nous n’en faisons rien… » insiste Marie-Claire Blais. Pascale Navarro lors d’une entrevue avec l’auteure de Soifs affirmait qu’à sa mesure
« Marie-Claire Blais contribuait à reconstruire le monde. » Je partage son avis. Son œuvre s’imprègne de l’humanité entière.

Au fil des ans, je n’oublie pas les voix fortes de ses romans. De Jean le Maigre à Augustino en passant par Venus, Mère, Samuel, Adrien, Mélanie et Mai. Dans Mai au bal des prédateurs c’est Petites Cendres qui retient ma sympathie. Il m’a soutiré des larmes, juste avant le mot fin. Oui, sûrement, tu vas retrouver des êtres et des préoccupations qui te ressemblent dans les cinq derniers romans de Marie-Claire Blais. Tu y retrouveras la vie et « … la vie tient tant qu’elle rencontre autour d’elle la vie… »

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