Sur les chemins de la verticalité

Lettre vagabonde – 20 février 2017

À la verticale de soi raconte la vie d’une jeune femme qui s’est élevée au-dessus de sa condition physique et du conformisme. Stéphanie Bodet s’est fait grimpeuse non pas pour observer le monde du haut de ses exploits, mais plutôt pour poser un regard sur la vraie vie qui se révèle à l’intérieur. On retrouve le souffle dont on a besoin pour respirer le grand air et se débarrasser de nos toxines de peur et de malheur.

Enfant, Stéphanie Bodet est asthmatique, souffre d’allergies. Ses bronches la font tousser, passer des nuits blanches. À l’école, les cours d’éducation physique s’avèrent un supplice et les sorties de courses à pied la laissent épuisée et abattue. Elle préfère se plonger dans la lecture. « Rien ne disposait la rêveuse que je suis à devenir grimpeuse de haut niveau » écrit-elle. Dans la préface de À la verticale de soi, Sylvain Tesson, grand écrivain voyageur, présente Stéphanie Bodet comme « un nouveau chantre éminemment sensible, une amoureuse pleine de grâce, une poétesse fragile, un roseau grimpant qui préfère raconter son cheminement à la verticale de soi plutôt que de détailler ses techniques de verrouillage. » Stéphanie consacre sa vie à ses deux passions : les mots et l’escalade. Les deux font corps avec elle. Et le corps s’endurcit et l’esprit s’affermit. C’est la particularité du récit de se dérouler à la fois sur les parois rocheuses en haute altitude et au cœur du sens à donner à sa vie.

À la verticale de soi est une leçon de vie insérée dans un récit de voyage portée par un style littéraire de qualité indéniable. Absents, le ton moralisateur, la vantardise ou les images égocentriques. Le lecteur suit Stéphanie Bodet et Arnaud Petit, son compagnon de vie et d’escalade, à travers le monde. Les deux évitent un entraînement excessif. Elle s’éloigne rapidement de l’univers des compétitions. Son corps cherche dans le roc les fissures auxquelles s’agripper pour atteindre le sommet. Son esprit extirpera de ces failles matière à raconter son cheminement.

Les deux aventuriers se frottent au danger, encourent des risques, s’usent à l’effort, à la fatigue et au froid. Le trajet exige parfois des jours de varappe avant d’atteindre le sommet. En s’agrippant aux fissures des escarpements abrupts, ils ont effectué l’ascension de monts imposants comme le mont Fleurs de Lotus au Canada, le Santo Angel aux États-Unis et le massif Karakoram aux confins de l’Inde. L’aventure les a menés en Chine, en Patagonie, en Australie, au Pakistan et en Malaisie entre autres. Stéphanie raconte avec ardeur et émotions leurs périlleux parcours.

C’est à l’émission La Grande Librairie que j’ai reconnu cette femme d’une grande sensibilité, spontanée et sincère qu’est Stéphanie Bodet. J’ai lu À la verticale de soi comme un récit de voyage hors des sentiers battus. Il m’a menée plus loin qu’une aventure d’escalade. Il m’a conduite à l’intérieur même d’une avancée, dans l’imagination d’une femme portée par un rêve, un idéal au-delà de la performance et de la reconnaissance. L’auteure atteste que « nos petits échecs ont plus de vertus que nos brillants succès […] qu’il est bon d’avoir dans son cœur des montagnes sur lesquelles on ne montera jamais ». Elle fuit les conventions sociales et leur préfère le risque, la fatigue sous l’effort qui mènent à une vie plus intense. Elle encourage « à troquer ses bonnes manières contre des manières vraies ». Son but : aller au bout de ses rêves sans concurrence ni comparaison. Plutôt que dans l’accumulation de matériel dernier cri, c’est dans son courage et son intuition que la grimpeuse puise sa force et sa compétence. Son aspiration : « être soi au lieu de devenir quelqu’un ».

Par son enthousiasme débordant, son intensité et son émerveillement devant la nature, Stéphanie Bodet incite à s’extraire de son confort, du prévisible et à poursuivre son propre chemin avec un regain d’énergie. Selon elle, le cycliste, le marcheur et l’alpiniste se fondent physiquement dans la géographie au lieu d’en frôler uniquement la surface. Sa folle joie de vivre est contagieuse. « Si la vie vous semble absurde et dénuée de sens, rien ne s’oppose à ce que nous lui en donnions un » écrit-elle.

Si l’auteur explore le monde parmi les failles d’une paroi abrupte, elle l’ausculte également entre les pages des livres. Les deux l’aident à sortir de ses certitudes et à accueillir les incessants changements qui s’opèrent en elle. À notre tour d’être en haleine et en alerte en lisant À la verticale de soi. Ce récit risque de changer quelque chose dans nos vies. Il donne l’élan d’accéder à ce que Marguerite Yourcenar appelle ce « coup de folie pour bâtir son destin ». L’éveilleuse de passion nous encourage à plus de simplicité et de dépouillement, et surtout, surtout, de cultiver l’émerveillement. Elle nous expose au vertige saisissant sur les hauts sommets et à la plongée prodigieuse au plus intime de soi.

Stéphanie nous offre cette liberté qu’elle a fait sienne : « d’imprimer à la vie le motif qui me chante, le motif qui m’enchante ». À nous de s’y rallier en gravissant les parois de notre propre verticalité.

 

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