Pour la suite du vivant selon Maryse Goudreau
Maryse Goudreau a entrepris de suivre le parcours des bélugas hors des sentiers battus, loin de leurs habitats et des milieux scientifiques. C’est par un détour pour le moins inusité qu’elle est allée à leur rencontre : dans les archives de la Chambre des communes à Ottawa. Elle a relevé tous les débats les concernant de 1876 à 2019. La conquête du béluga nous livre le résultat de ses découvertes en 84 pages fort captivantes. La couverture à la texture soyeuse n’est pas sans rappeler la douceur de la peau du petit cétacé. Photographies et affichettes en font un livre d’artiste.
Maryse Goudreau est artiste, cinéaste et chercheuse indépendante en quête de la mémoire des lieux et la mémoire du vivant. Elle explore les archives en quête de textes susceptibles de corroborer à sa démarche. Son expertise en photographie lui permet d’utiliser une vaste panoplie d’appareils et de procédés.
Loin d’être une lecture aride, les débats de la Chambre des communes s’animent sous nos yeux. L’autrice a inséré les propos des ministres et députés fédéraux sous forme de pièce de théâtre en trois actes. Chaque scène aborde un aspect de l’utilité, du caractère ou de la survie du béluga. L’humour se pointe à l’occasion comme lors d’un dérapage sur le beurre qui mène à s’interroger sur le nombre de trayons du cétacé. Le suspens de certains démêlés entre les intérêts des uns et des autres, la mise en place de politiques, agrémentent la lecture.
La conquête du béluga suit le destin des bélugas et autres cétacés dans les eaux canadiennes. Au cours des décennies, grâce aux recherches, une meilleure compréhension et une plus grande sensibilisation contribuent à défendre et à protéger la fragilité des écosystèmes. « Pour nombre de nos lacs et de nos rivières, la pollution par le mercure est la principale menace » déclarait un député fédéral en 1970. Et en 1986, on l’affirmait : « l’ennemi numéro un n’est plus la chasse mais la pollution. »
La notion de féminité est l’un des thèmes que cherche à développer Maryse Goudreau dans La conquête du béluga. Les photographies de femelles en train d’allaiter en témoignent. C’est par la femelle de chaque espèce que se transmet la vie et les moyens de survivre. Un autre thème cher à l’autrice est la mémoire. Chaque moment de notre histoire est indissociable de tous les autres. Sans la transmission de cette mémoire, nous perdrons tout récit commun, tout ce qui nous lie en tant que communauté. Le paysage marin passionne cette Gaspésienne dont la vie est traversée par la baie des Chaleurs, le fleuve Saint-Laurent et la mer.
La conquête du béluga se déroule sur 150 ans d’histoire reliés aux fonds marins et à la survie des espèces. « Les baleines sont une sentinelle de la santé de l’écosystème et elles nous envoient un message » dira en 2018 une députée fédérale originaire du Nouveau-Brunswick.
Le prix Lynne-Cohen fut attribué pour la première fois à Maryse Goudreau en 2017. Maryse est avant tout une artiste de l’image. Ses œuvres précédentes et ses expositions le confirment. Voici un extrait des commentaires des jurés du prix Lynne-Cohen : « Maryse Goudreau s’inscrit parmi une jeune génération d’artistes dont les préoccupations portent sur l’appartenance à notre environnement, sur nos amnésies […] sur des enjeux identitaires à la fois collectifs et universels. » La conquête du béluga se situe dans une démarche historique et écologique visant à léguer à toute vie animale et végétale une planète habitable.
Te voici rendue, Alvina, au pays des bélugas en nous faisant connaître cette artiste multidisciplinaire, chercheuse mais pas que: photographe, cinéaste, fondatrice de festival, apicultrice et exploratrice d’espace nordique. Par ta chronique Alvina, tu me rappelles l’importance de ce que sont les mères, celles qui de leur chair donnent la vie, la nourrissent, la protègent, en prennent soin. Se le rappeler, n’est-ce pas remettre les pendules à l’heure à propos de ce qui vit, meurt ou ne vit pas?
Voilà un beau texte qui décrit avec plein de finesse et de profondeur l’ouvrage qu’a publié Maryse. Bravo Alvina!