Lettre vagabonde – 13 février 2008
Chère Jill,
Un bon matin, sur l’écran de mon ordinateur sont apparues deux magnifiques photos de bébé. C’était Chase, un bébé de quatre mois, en train de lire. Bien installé dans son fauteuil mou, réfugié dans sa bulle, il lisait. Je me suis dit qu’il avait de la chance d’avoir déjà un livre entre les mains. On voit qu’il a l’habitude à sa façon de tourner la page ou de se laisser captiver par l’image les deux pouces collés, les mains jointes, Il n’y a pas de doute Chase est un lecteur. La question est de savoir s’il le restera même après avoir appris à lire.
Un bébé en train de lire me donne espoir que le temps de vivre leur est enfin accordé. Lorsque je rends visite à des parents de jeunes enfants, je retrouve souvent ces derniers rivés à l’écran de télévision. L’image et la parole se déroulent à toute vitesse. Ces enfants-là ne m’adressent ni regard ni sourire. Malheur à quiconque les dérange. L’écran, toujours l’écran comme un biberon à gaver le cerveau et assurer la tranquillité. Maintenant, les bébés et les petits enfants ont leur écran même en voiture. Ils sont plus tranquilles en voyage qu’on me dit. Mais ils ne voyagent pas eux.
L’enfance se déroule en transit de l’écran de télévision, à l’écran de l’ordinateur et à celui des jeux vidéo. Le dos rond, le souffle retenu, la mâchoire tendue dans une course folle et compétitive, es petites mains pitonnent et s’acharnent à battre l’adversaire. Selon des chercheurs, les enfants exposés à la télévision et aux jeux vidéo deviennent plus agités, voire agressifs et sont incapables de se concentrer. La lecture, la boîte à jouets et les jeux de société exercent un effet contraire. Le poète Paul Chanel Malenfant a raison d’affirmer : « le coffre à jouets et la boîte de mots; un seul espace pour que l’enfant procède à l’invention euphorique du monde. »
La littérature jeunesse offre une gamme d’albums de qualité. Je suis convaincue qu’un bon livre pour bébé est un livre que les grandes personnes aiment aussi. Je ne peux m’empêcher de feuilleter les albums en librairie ni de lire les nouveaux romans jeunesse. Mes derniers achats : Le petit écrivain de Gilles Tibo, La Fabuleuse entraîneuse de Dominique Demers. Mon album L’ourson qui voulait une Juliette de Jasmine Dubé est marqué par l’usure de nombreuses lectures en salle de classe et en bibliothèque. Je m’accorde avec Dominique Demers qui dit que les livres jeunesse s’adressent à tous les enfants, y compris celui qui sommeille en nous.
L’écrivain Northrop Frye assure que peu importe le nombre d’expériences que l’on acquiert dans la vie, aucune n’atteindra la dimension de celle que nous offre l’imagination. Toujours selon Northrop Frye, la porte grande ouverte à l’imagination, c’est la littérature. J’aurais le goût de clamer : « Vas-y Chase, réclame chaque jour tes trois L : lit, lait et lecture. »
Chase se remplit les yeux d’images, son imagination se frotte à un terreau fertile. À son rythme, il est en train de créer son univers et s’ouvrir à tous les possibles. Tandis que Chase lit son album, je suis plongée dans Le livre de Yaak. Comme Chase, je suis immergée dans le terreau inépuisable de l’imagination. Rick Bass défend la vallée du Yaak dans le Montana contre l’avidité des grosses compagnies forestières. La nature sauvage est partout menacée. J’espère que la plume de Rick Bass contribuera à préserver les espaces sauvages. Entre temps, Chase et moi évoquons par la magie des mots et des images la beauté du monde.
Jill, tu offres à ton petit garçon un coffre aux trésors intarissables : les livres. Je rêve déjà que mon arrière-petit-neveu Chase devienne mon grand complice en lecture.
Alvina