Salon du livre de Rimouski

Lettre vagabonde – 12 novembre 2003

Salut Urgel,

Le 38e Salon du livre de Rimouski a eu lieu du 30 octobre au 2 novembre. C’est le plus ancien Salon du livre au Québec. Le thème cette année : «On est loin d’avoir lu notre dernier mot.»

Même si le Salon du livre de Rimouski n’a pas l’envergure de celui de Montréal ou de Québec, il attire autant sinon plus de monde qu’il peut en contenir. Samedi, nous étions tassés comme des sardines dans la grande salle des Congrès de l’Hôtel Rimouski.

Le Salon, c’est pour bouquiner bien sûr. Mais on bénéficie d’une foule d’activités connexes : les rencontres avec les auteurs, les lancements des dernières parutions, les tables rondes, les entrevues et des causeries sur des thèmes de l’heure. Jean Fugère animait le Déjeuner littéraire.

Chaque Salon a ses invités d’honneur. Le 38e Salon accueillait Jean Bédard, Louise Portal, Francine Ruel et Chrystine Brouillet. Jean Bédard, essayiste et romancier vient de publier un essai choc intitulé «Comenius ou l’art sacré de l’éducation». Il y fait le récit émouvant de Jan Amos Komensky. Il l’a sorti des ténèbres. Tu vas comprendre pourquoi on avait étouffé les idées de ce philosophe. Komensky préconisait que la véritable éducation est le contraire de l’endoctrinement. Louise Portal, comédienne, chanteuse et écrivaine a droit à tout mon respect. Elle est la muse des Correspondances d’Eastman, ce festival littéraire activé par les lettres d’épistoliers et d’épistolières de tout acabit. En plus, il nous amène à découvrir la correspondance de grands épistoliers. Le roman de Louise Portal, «Cap-au-Renard» à faire d’heureux lecteurs. Francine Ruel et Chrystine Brouillet ne donnent pas leur place dans le monde littéraire et culturel. Chrystine Brouillet essouffle et stresse plus d’un lecteur avec sa fiction pure. Essaie de suivre les enquêtes de sa détective Maud Graham et tu me diras si tu peux t’endormir pendant et après. Il s’est vendu  36 000 exemplaires de son roman «Le collectionneur»; c’est pour dire.

Une centaine d’auteurs étaient présents au 38e Salon du livre de Rimouski. Évidemment je ne te parlerai point de chacun. Mais permets-moi de te souligner la présence d’auteurs dont les œuvres m’ont touchée, Paul Chanel Malenfant, ce poète du fleuve, ce fleuve profond de la poésie, possède une plume exceptionnelle. À lire absolument Urgel. Son dernier recueil «Si tu allais quelque part» est publié à la Courte échelle dans une collection pour ados. Soyons adolescents et gavons-nous de sublimes émotions. Ça ne me surprend pas que son recueil soit en lice pour le Prix du Gouverneur général. J’ai causé aussi avec Nicole Filion qui demeure dans les montagnes de la Vallée de Matapédia à Saint-Alexis. Nicole Filion a écrit des textes radiophoniques pour la Société Radio-Canada ainsi que de nombreux romans. Elle réussit merveilleusement à faire surgir l’humour de situations diverses. Si tu veux lire et rire, lis de Nicole Filion: «Ne touchez ni aux appareils électriques ni à la cafetière», «Nouvelles locales»,«Morceaux épars sur l’Atlantique» ou son tout dernier «Noces villageoises». C’est une écrivaine de l’humour, une espèce rare. J’adore cette auteure méconnue. À ta petite-fille, tu peux offrir pour Noël le recueil de poésie intitulé «Autour de Gabrielle». Édith Bourget vit à Edmundston. Elle est écrivaine et artiste peintre.

Tu me connais Urgel, j’assiste à toutes les activités possibles lors des salons du livre, jusqu’à essoufflement ou plutôt jusqu’à la fermeture des portes. Un événement m’interpellait de façon particulière : la diffusion en directe de Bouquinville. Marie-Claire et moi sommes arrivées trente minutes à l’avance afin de s’assurer les meilleures loges. J’avais hâte de voir en direct Stanley Péan, Danièle Laurin, Sonia Sarfati, André Champagne et Robert Lévesque. Après tout, c’est une des rares émissions littéraires sur les ondes de la Chaîne culturelle. Une denrée rare de nos jours. À moins de 10 minutes du début de l’émission, nous n’étions qu’une demi-douzaine à occuper les 75 chaises installées pour l’occasion. L’émission commence. Nous sommes une douzaine d’auditeurs. Je n’en reviens pas. Je suis déçue. Dire en plus que le chroniqueur Robert Lévesque est originaire de Rimouski. La présence de Nicole Filion a tout juste doublé l’assistance en deuxième heure de l’émission. J’ai apprécié chaque minute des échanges. Danièle Laurin est bouillonnante d’idées et Robert Lévesque, un critique audacieux.

J’en ai eu le moral qui se laissait drôlement aplatir durant quelques heures. Ça m’a ramenée aux activités du Cercle littéraire la Tourelle. Avec peine et misère, le Cercle organise sa tournée d’automne des écrivains. Quand nous sommes moins de quinze participants à une rencontre, je me dis devoir travailler encore plus fort auprès des médias et auprès des lecteurs. Si à l’intérieur d’un événement de l’envergure du Salon du livre de Rimouski, on ne réussit à déplacer qu’une douzaine de personnes pour Bouquinville, le malaise ne se situe pas au niveau des organismes. On aime lire soit. On se soucie peu d’encourager les auteurs. L’engagement n’y est pas. Pire encore, on se tient loin des débats où la réflexion est de mise, le choc des idées possible et l’évolution de la pensée en ébullition.

Sommes-nous devenus des êtres insensibles à défricher contre conscience, à déchiffrer ses énigmes et à être à l’affût des débats d’idées? C’est grâce aux écrivains, aux poètes surtout qu’on nage dans le fleuve effervescent de la connaissance au lieu de flotter à la dérive sur la mare brouillée de l’endoctrinement.

Je préfère réfléchir dans le sens de cogiter au lieu de celui de réflecter. Comme dit Jean Rostand : « Réfléchir, c’est déranger ses pensées. » Et Paul Claudel ajouterait : « Rien n’est plus dangereux qu’une idée quand on n’en a qu’une. »

Je persiste à croire à l’importance des rencontres intellectuelles dans une société engagée dans son évolution. Nous devons affronter et confronter les soi-disant experts de la pensée qui cherchent à endoctriner, à uniformiser quand ce n’est pas supprimer toute réflexion personnelle. Sommes-nous devenus des adeptes aveugles des bourrages de crâne, de la manipulation et du laisser-faire?  

Je te quitte avec le leitmotiv emprunté de Paul-Émile Roy « Pas besoin de penser pour penser comme tout le monde. »

ta salonnière aux aguets

Alvina

1 commentaire

  1. Chère Alvina,
    Qu’ajouter de plus à ta grande fébrilité et ton enthousiasme débordant pour la fréquentation des salons du livre, elles manifestent ton attachement passionné au travail des gens qui écrivent et à la reconnaissance qu’on devrait leur accorder pour savoir nous joindre au plus profond de l’âme. Je comprends ta déception devant tant d’absents alors que toi-même tu es d’une vibrance exceptionnelle pour les émissions culturelles aussi bien radiophoniques que télévisuelles. Évidemment la lecture et l’écriture sont des actes que la population choisit à sa guise dans un geste de totale liberté ignorant la plupart du temps la carence qu’ils créent en se privant desdits actes. Le salon de Rimouski, je le connais bien, il est grandement fréquenté à chaque année, voilà peut-être la consolation, les librairies sont encore populaires à Rimouski même en temps de pandémie. J’admire ton entregent pour t’adresser à tant de personnes en si peu de temps et savoir profiter de chacune des conversations. Ton travail auprès du Cercle littéraire La Tourelle tout autant que dans le milieu de la région limitrophe est souvent récompensé par la présence d’auteurs et d’autrices de renom, ce que tu sèmes Alvina finira bien par donner une récolte abondante mais tu ne le sauras pas toujours. Reste aux aguets.

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