Lettre vagabonde – 24 novembre 2004
Salut Urgel,
La mort vogue sur la mer de la vie et la percute régulièrement. Quand la mort se fait écueil, la vie fait naufrage. Quand la vie coule à pic, la mort s’enfonce. Il y a tant de morts derrière nous, à côté de nous. Plus elle s’approche de nous, plus nous avons l’impression d’en être atteints.
Ne trouves-tu pas étrange que nous agissions comme si la mort n’agira pas sur nous. On vit avec la sensation d’être exempté de mourir. C’est pour les autres. Soudain elle se rapproche. Le père, la mère, un frère, une sœur ou un ami sont happés. Une espèce de décompte s’établit et nos morts prennent la route des morts sur la planète entière.
Pour camoufler nos émotions, pour sortir du guet-apens, nous accélérons le processus de la veillée du corps, des funérailles, effaçons les indices et puis n’en parlons plus. Je déplore le fait que nous effacions toute trace de la mort. Avec la crémation devenue populaire, les cendres éparpillées je ne sais où, il ne reste aucune trace du passage d’une personne sur la terre. On tente d’enterrer jusqu’au souvenir d’elle.
Je peux nier l’existence de l’au-delà, n’adhérer à aucune religion, ça n’empêche pas l’existence réelle et concrète de la finalité du corps. La mort existe bel et bien au même titre que la naissance. Non seulement chacun aura à faire face à la sienne mais il a aussi à s’occuper de celle des autres. Dans « L’intelligence du corps » Pierre Bertrand écrit : « Vivre avec la conscience de notre mortalité ne peut que nous aider à vivre. »
Au Salon du livre de Montréal, j’assistais à une table ronde sur le thème de la mort. Le sujet « La mort survit-elle dans la littérature? » était abordé par Nathalie Loignon, auteure du roman jeunesse « Christophe au grand cœur », par Jean-Philippe de Tonnac, directeur de l’encyclopédie « La mort et l’immortalité » et par Hélène Harbec, l’auteure de « Les Voiliers blancs. »
Nathalie Loignon tente dans son roman de nous révéler la perception de la mort par un enfant aux prises avec sa fin prochaine. Hélène Harbec avoue que la mort l’accompagne partout et est présente dans tous ses romans. Elle accorde une grande importance à l’accompagnement d’une personne malade qui va bientôt mourir. La présence et l’écoute demeurent essentielles. Pour Jean-Philippe de Tonnac, l’humanité à travers les siècles s’est toujours révoltée face à la mort. La société moderne n’accorde plus de temps ni de place à la mort. Jean-Philippe de Tonnac déclare que l’on doit accorder autant d’attention et de soins à la mort que l’on accorde à la naissance. Il déplore le fait que 80% des personnes âgées meurent seules à l’hôpital. Souvent le corps médical a déjà abandonné le malade car on ne pouvait plus rien pour la vie. Le directeur de « La mort et l’immortalité » ne comprend pas que l’on en soit venu à la crémation, nous les occidentaux, qui n’avons jamais eu ni dans nos mœurs ni dans nos religions le rite de brûler les corps. Mais qu’est-ce qui nous prend semblait-il dire? Qui plus est, selon lui, on renie la douleur et la souffrance de ceux qui restent. Le retour au travail est précipité et l’on voudrait que la personne en deuil arrive avec le sourire, s’installe dans sa routine comme si de rien n’était et soit aussi efficace qu’avant. C’est fini et que l’on n’en parle plus.
L’animateur lui s’indignait de la disparition des cimetières autour des églises. Ils sont parfois éloignés et introuvables et personne ne s’y rend. Les noms des disparus ne sont plus repris par les autres générations. On réfute toute trace de la mort dans la société.
Je suis fière de toi Urgel. Tu as choisi pour ta mère une cérémonie qui permettait de nous rassembler et de partager ton deuil. Tu as pris la peine de parler de ta mère avec le prêtre officiant. Nous nous sommes tous rendus au cimetière pour l’accompagner jusqu’au bout. C’est rare de se retrouver au cimetière maintenant. Faisons donc une place aux morts dans nos vies.
Je te quitte avec quelques réflexions de Pierre Bertrand :
« La force de la mort est telle que, quand elle ne nous tue pas, elle nous ouvre à tous les autres événements. »
« La mort se trouve au cœur de notre vie, et c’est parce que nous ne la percevons pas avec suffisamment d’intensité que, paradoxalement, nous vivons mal. »
Amitiés,
Alvina