Un plaidoyer pour les êtres vivants

Lettre vagabonde – 14 octobre 2015

De tous les titres dont nous sommes affublés, celui de consommateur prime. Nous sommes inondés de biens de consommation qui répondent à nos besoins, nos désirs et nos caprices. Nous avons accès à l’essentiel, au nécessaire et au superflu. La nourriture, nos vêtements, les biens immobiliers, les appareils de tout genre et les médicaments sont autant de biens consommés. Nous nous procurons ces produits sans trop nous préoccuper de leur source, ni des conditions de fabrication, ni de l’implication d’êtres vivants dans le processus. Les entretiens réalisés par la journaliste et écrivaine, Karine Lou Matignon, nous ouvrent les yeux sur les traitements infligés aux animaux dont on s’alimente et dont on se sert comme outils et objets de divertissements.

Dans son livre intitulé Les animaux aussi ont des droits, Karine Lou Matignon en collaboration avec l’ornithologue David Rosane, s’entretient avec Boris Cyrulnik, Élisabeth de Fontenay et Peter Singer. Ces trois grands noms de la pensée contemporaine se sont penchés sur les droits des animaux et sur les traitements qu’on leur fait subir. Boris Cyrulnik est éthologue et neuropsychiatre, Élisabeth de Fontenay, philosophe et Peter Singer, fondateur du Mouvement de libération animale et professeur de bioéthique. Depuis le Moyen Âge, des penseurs s’interrogent sur notre relation avec les animaux. Il fut un temps où le clergé imposait la peine de mort à un chat qui chassait les souris le dimanche. Il était passible de pendaison ou de mort sur le bûcher. Avons-nous soi-disant évolué depuis ce temps? Rien n’est moins sûr en ce qui concerne les mauvais traitements assénés aux animaux.

Peter Singer s’interroge sur l’autorisation que l’on s’octroie d’user de la vie des autres êtres vivants pour satisfaire nos besoins en leur infligeant douleur et souffrance. Selon lui, la souffrance animale doit nous porter à démontrer de la considération morale envers eux. Les animaux victimes de l’élevage industriel et de la recherche en laboratoire sont ceux qui souffrent le plus. Nos instincts moraux nous empêchent de faire du mal à autrui sans pour autant nous retenir d’en bénéficier quand d’autres s’en chargent. Par contre, des expériences en laboratoire sur les grands singes démontrent leur refus d’exercer de la violence sur leurs semblables même si leur alimentation en dépendait. Ils n’ont pas succombé et  ont refusé de faire souffrir les leurs au prix d’être privés de nourriture durant deux semaines.

Étrange que l’on persiste à faire des expériences sur les animaux en laboratoire sous prétexte que leurs réactions à certains traitements sont identiques aux nôtres et de l’autre côté, on leur nie toute ressemblance avec nous. Voici ce que Peter Singer en déduit : « Nous continuons d’engloutir des fortunes dans l’industrie de la recherche qui fonctionnent sur de très mauvaises habitudes, lesquelles débouchent sur une quantité considérable d’études… qui ne servent absolument à rien. » Nous ne sommes pas toujours l’être moral que nous semblons être. Le psychologue Steven Pinker nous rappelle que Mère Teresa, prix Nobel de la Paix et béatifiée, louait les vertus de la souffrance, refusait à ses patients des analgésiques et traitait malades et blessés par des soins rudes et archaïques. Singer maintient « qu’accorder de la considération morale aux animaux constitue un moyen d’améliorer la société tout entière et nous améliorer nous-mêmes.

Élisabeth de Fontenay est une philosophe, spécialiste de la condition animale. Elle penche du côté de l’ethnologie, la sociologie et la psychologie pour développer sa pensée. Elle refuse de comparer les hommes aux grands singes. Selon elle, nous nous distinguons des animaux car « nous créons un autre monde qui ne relève plus seulement de l’histoire naturelle, mais de la transmission des savoirs et des traditions.. » Elle reconnaît que les animaux sont conscients et sensibles. La philosophe reproche au christianisme de rendre l’animal profane et de le profaner. Elle reproche à la technoscience de justifier l’élevage industriel. Même si on doute que l’animal peut raisonner ou parler, il est impossible  de nier qu’il peut souffrir. Élisabeth de Fontenay conclut que les gouvernements refusent d’enclencher des réformes contre la cruauté envers les animaux car l’industrie agroalimentaire et le lobby tout-puissant des chasseurs l’emportent sur toute considération du monde animal.

Boris Cyrulnik a consacré une bonne partie de sa vie à l’étude du comportement animalier dans son milieu. Il cherche à comprendre le monde vivant et la nature humaine. Boris Cyrulnik dénonce les élevages et les laboratoires abominables, le dressage de listes d’animaux à éradiquer en décrétant qu’ils sont néfastes à la nature en vertu des lois humaines.

Toutes les recherches sur les animaux montrent clairement que nombre d’entre eux ont une vie émotionnelle, des capacités cognitives et qu’ils peuvent résoudre des problèmes. Ils possèdent également une capacité d’anticipation, d’empathie et d’entraide. Le porc est en ce sens supérieur au chien et aux grands singes. Selon Boris Cyrulnik, il est très ennuyeux de découvrir que l’animal possède des émotions et un monde intime comparable aux nôtres, car cela limite notre pouvoir sur lui. Plus de cinquante milliards d’animaux sont abattus quotidiennement, seize mille à la minute. La nourriture céréalière destinée aux animaux occupe un quart des terres cultivées sur la planète.

Boris Cyrulnik nous incite à développer à l’échelle de la société l’empathie à l’égard des animaux « en multipliant les expériences personnelles à partager, des films, des livres pédagogiques. »  Les enfants en général, s’attachent d’emblée aux animaux, ils y trouvent souvent réconfort et guérison. Il est depuis longtemps prouvé que les animaux sont des êtres vivants sensibles qui souffrent autant que nous. Pourtant on les abat dans des conditions atroces. Même Charles Darwin avait constaté que certains animaux expriment de l’amour, de l’émotion et sont dotés d’une capacité d’attention, de curiosité, d’imitation et de raison.

Au nom d’arguments d’ordre économique, les animaux sont réduits à l’esclavage. Si au lieu d’un filet mignon, d’une poitrine de poulet ou d’une langue de bœuf, on affichait aux comptoirs de viande : cadavres d’animaux abattus, cela nous choquerait. Plusieurs pays ont établi des lois concernant la protection des animaux. Boris Cyrulnik, Élisabeth de Fontenay et Peter Singer nous enjoignent de contribuer à les faire respecter, à commencer par l’élargissement de notre propre sensibilité. Les animaux aussi ont des droits est un plaidoyer étoffé et convaincant sur le respect que nous devons aux êtres vivants. C’est un devoir moral. Ces auteurs nous invitent à nous rapprocher de notre humanité pour le bien de la planète entière.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *