Lettre vagabonde – 19 décembre 2007
Cher Urgel,
En fin de semaine, les amis s’étaient donné rendez-vous pour notre traditionnel repas de Noël. Comme d’habitude, la rencontre se déroulait dans une demeure privée en une ambiance intime et détendue. Chaque convive avait la responsabilité de concocter un met pour l’occasion. La majeure partie de la soirée se déroule autour de la table. Les plats délicieux, le vin et les conversations circulent à profusions. Le temps s’écoule avec l’insouciance de l’eau glacée de la Petite-Rivière-du-Loup. Nous partageons en abondance un grand luxe : le temps.
À l’occasion des derniers préparatifs avant Noël, les gens semblent tous privés d’un seul et même élément essentiel. Les riches comme les pauvres, les salariés comme les retraités, se plaignent d’être à court de temps. Tandis que je circulais parmi des clients pressés, essoufflés et impatients à la pharmacie du coin, je suis tombée sur une bouée de survie indispensable : un livre. Éloge de la lenteur m’attendait patiemment. Son auteur, Carl Honoré me lança de sa quatrième de couverture, un sourire conciliant. J’achetai le volume et sortis m’installer dans la voiture en attendant les autres. Elles sortirent trop tôt, je n’étais qu’à la page vingt; déjà des parcelles de temps m’étaient rendues.
Dommage que mes cadeaux de Noël fussent déjà achetés. D’autres auraient pu bénéficier de Éloge de la lenteur. Carl Honoré explique comment la vitesse a pris d’assaut nos habitudes, nos valeurs et la culture. Les compagnies, l’industrie alimentaire, la médecine, les loisirs, les relations humaines sont contrôlés par le temps. En contrôlant notre temps, tous nos mouvements sont sous contrôle du temps. Le temps est devenu une obsession. Tout le monde en parle comme d’une denrée rare, périssable et peut-être en voie de disparition.
À travers les pages de Éloge de la lenteur, les multiples situations d’excès de vitesse ciblent tous les niveaux d’âge. Ça m’a ramenée à l’école. Là, l’absurde rationalité du temps atteint le point de folie. Le temps coupé en tranches fines de minutes précipite l’enfant dans la marmite de la vitesse excessive. Le moindre ralentissement devient une anomalie à traiter. Les institutions et les industries cherchent à maximiser le temps. Au début des années 2000, Klauss Schwab, fondateur et président du forum économique mondial, dénonçait le culte de la vitesse en ces mots : « Nous troquons un monde dans lequel le gros mange le petit pour celui où les plus rapides mangent les plus lents. » Nos lointains ancêtres maudissaient déjà la mesure du temps. Plaute en 200 ans av. J.-C. accusait le cadran solaire de « découper et tailler ses jours en misérables petits morceaux. »
On a banni la convalescence en remplaçant le repos par des médicaments. Le temps accordé à la préparation d’un repas, puis à le manger est abrégé et supplanté par le « fast food . » La production sous toutes ses formes est accélérée. Le bétail est engraissé rapidement, les récoltes augmentées à coup de fertilisants chimiques. Le temps est devenu ce monstre qui grignote les heures et les minutes de la vie.
Carl Honoré est un homme réaliste et optimiste. Il propose une philosophie de vie pratique. Il existe dans plusieurs pays des mouvements Slow visant à ralentir le rythme. « Slow Food » par exemple encourage ses adeptes à prendre le temps de faire la cuisine et d’apprécier la nourriture. La « Pensée Slow » elle, nous incite à négliger la pensée rapide, rationnelle et linéaire au profit de la pensée lente, intuitive, primitive et créative. Einstein parlait de deux intelligences : « Les ordinateurs sont incroyablement rapides, précis et stupides. Les êtres humains sont incroyablement lents, imprécis et brillants. »
Mes amis et moi adhérons au mouvement « Slow Food. » Nous prenons le temps de concocter nos petits plats. Nous apprécions nous réunir autour d’une bonne table et donner raison à Viviane Zunimo : « L’une des plus belles choses de la vie est de s’asseoir à table avec des amis ou en famille pour profiter d’un très bon repas et de bons vins. » Josée Blanchette doit être une adepte du mouvement Slow. Sa chronique au Devoir du 14 décembre le confirme : « Moi, ce qui m’embête le plus c’est cette illusion que nous entretenons à propos du temps. Et contrairement à Dieu, je ne peux être partout même si la technologie m’y incite. »
Si le congé de Noël te porte à flâner du côté d’une librairie, cherche Éloge de la lenteur de Carl Honoré, publié chez Marabout. L’auteur nous fait prendre conscience qu’il n’est pas si urgent d’arriver au bout de la vie. Le livre te présentera les décélérateurs oeuvrant à la défense des citoyens. Ils possèdent l’amour de la simplicité, des produits à petite échelle et des relations humaines. Encourageons nos proches à devenir des adeptes de « Slow Food » et de la « Pensée Slow. » Je m’accorde avec Pierre Sansot qui écrit : « La lenteur, c’était à mes yeux, la tendresse, le respect, la grâce dont les hommes et les éléments sont parfois capables. » Trente cités italiennes dont Bra ont baptisé leur ville Città Slow ou ville de la lenteur. Leur décret local : « le plaisir avant le profit, les êtres humains avant les sièges sociaux, la lenteur avant la vitesse. »
Amicizie,
Alvina