Lettre vagabonde – 18 octobre 2006
Cher Urgel,
Dans mon sac à dos j’ai entassé mes provisions, des vêtements chauds et vingt grammes de poésie. Je recevais récemment par la Poste deux recueils de poésie directement de l’auteur Patrice Desbiens. Aucun mot additionnel n’accompagnait ce cadeau et cela va de soi comme de raison. Lorsqu’on envoie ses poèmes, à quoi servirait de les enrober de prose? Elle voyage très bien toute seule la poésie.
La preuve, elle est arrivée saine et sauve.
Je connais Patrice Desbiens d’avant son passage à la Tourelle lors d’une rencontre littéraire. Le lire c’est l’aimer. Le rencontrer, un rare privilège. S’il court les rues Patrice Desbiens, il évite bien celles de la visibilité et de la popularité. Il court plutôt après les gens ordinaires et les mots simples. Il est rarement au rendez-vous lors des salons du livre. Il y a plus de chance de rencontrer le poète au bar ou au café qu’au stand de signature des éditions Prise de parole. Il fuit les foires commerciales fussent-elles celle du livre.
J’ai découvert Patrice Desbiens par Un pépin de pomme sur un poêle à bois. Rouleau de printemps m’impressionnera tout autant. En 2000, les éditions Prise de parole publiait ses poèmes de 1979 à 1985 sous le titre Sudbury. Je lisais avec mon avidité propre au récit de voyage style Sur la route de Kerouac. Le rythme nous attrape. On ne s’arrête qu’en bout de ligne. Un conteur d’histoires qui ne rate jamais sa chute. Les objets et les situations ordinaires ressuscitent sous sa plume et nous éclatent au visage. Le monde n’a qu’à bien se tenir. Les mots de Patrice Desbiens arrivent armés du poing qui frappe au bon endroit. Le cœur est touché à chaque fois. L’homme attire la sympathie.
Le poète réussit à nous faire rire et pleurer surtout quand il lit pour nous. Jean Saint-Hilaire disait de lui que c’est « le poète qui écrit le cœur sur la main. » Les émotions à l’état brut jaillissent de son écriture concise et dépouillée. Il provoque, bouleverse, scandalise parfois et supplante allègrement l’indifférence.
Les thèmes de la solitude et des lieux publics sont récurrents. Les centres commerciaux, les chambres d’hôtel, la tendresse et le travail d’écrivain occupent l’espace en son œuvre. Au lieu d’une énumération exhaustive, je te refile quelques poèmes de Patrice.
Poésie (1)
Le vent bouge
dans les arbres
Le sang des arbres
tache la terre
Chaque feuille est
un livre
qu’on ferme
L’automne est parfumé
de poètes
morts
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Un moment de silence dans la vie
D’un poème
Entre la tristesse
De l’âme et
La rillette de veau
Une seconde
C’est long
Dans la vie
D’un poème
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La game de hockey sur le parking
derrière l’hôtel Royal à Cornwall
C’est une vraie
game
Des Gretzsky et des
Lafleur et des Pal-
mateer en jeans
en runnings se
battent pour la
rondelle, se
battent pour un
but dans la vie
le soleil leur seul
arbitre
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La petite radio jaune de Van Gogh
Dans sa chambre Van Gogh
Écoute la petite radio jaune
Qu’il a dessiné lui-même
La radio fait tourner qu’une
seule chanson sans arrêt
C’est Paint It Black des
Rolling Stones
Van Gogh est couché sur le lit
La musique lui rentre par
Une oreille et ne sort pas par
L’autre
Il ne peut pas débrancher la
radio puisque il n’a pas encore
découvert l’électricité
Il devient fou
Mais
pas plus fou
qu’un autre
Vingt grammes de poésie, ça prend une place minuscule dans les bagages. Ça s’insère bien dans le corps, côté cœur. Vingt grammes de poésie, une bonne trousse de survie en randonnée solitaire. Vingt grammes et quatorze feuilles, de quoi garnir un arbre d’automne et mon petit creux pour les poèmes de Patrice Desbiens. Ne cherche pas les deux petits recueils intitulés Déchu de Rien et Leçons de Noyade en librairie. Ils ont été imprimés à cent exemplaires hors des maisons d’édition. Ça rend le cadeau plus précieux encore. En passant La petite radio jaune de Van Gogh est un gramme de Déchu de Rien. Avec Patrice Desbiens, les mots sont pesés, aucun excédent.
Amitiés,
Alvina