Lettre vagabonde – 5 mai 2014
Le livre à peine ouvert j’entends la voix, plus claire que jamais, de France Cayouette. Une écriture raffinée, peaufinée sans pour autant perdre cette spontanéité qui caractérise son style. Voix indigènes rend hommage aux voix d’origine, celle du père et de la mère, celle de sa tribu comme dirait Madeleine Gagnon. Ces voix nous donnent vie et ne cessent de résonner en la mémoire. Les morts reviennent vers ceux qui les nomment avec les mots de l’amour. Les poèmes maîtrisent bien le langage de l’émotion vive, du geste significatif.
Voix indigènes s’inscrit dans une série de partitions musicales finement ciselées où se conjugue à tous les temps la vie. Il nous donne à écouter des voix. Le recueil s’inscrit également dans une série de tableaux où chaque geste déroule son histoire. Il nous donne à voir et à ressentir des sentiments authentiques. L’œuvre est répartie en sept tableaux bien campés dans un temps particulier du verbe et dans l’emploi séquentiel des pronoms. France Cayouette replace habilement les pièces sur l’échiquier de la mémoire. Depuis la lecture de Le quatuor de l’errance de Serge Patrice Thibodeau, je n’avais jamais retrouvé, insérées dans des poèmes, toutes ces composantes dignes d’un grand orchestre. Le rythme s’imprègne dans la durée. C’est une poésie marquée par une cadence exceptionnelle. Une poésie qui se vit et se lit comme un roman sans abandonner la rythmicité propre au poème
La poète nous accueille avec ces vers : « Ses gestes ont regagné le creux lointain de sa main. Des voix indigènes ont décrété les nôtres […] Il arrive qu’une seconde naïve secoue un siècle. » Le ton est donné. Nous serons du voyage au pays des souvenirs. France Cayouette réussit de façon sublime à faire naître les vers à l’intérieur même de ses souvenirs. Rilke écrivait que les souvenirs doivent se confondre « avec notre sang, avec notre regard, avec notre geste, il faut qu’ils perdent leur nom et qu’ils ne puissent plus être discernés de nous-même » Là réside la force du recueil.
On aborde en premier L’homme de tous les jours le père. Lui, « il a été. » Le deuxième tableau intitulé Les bas-reliefs des veines est au je discret et à l’imparfait et témoigne d’une introspection rare. « doutais de vous / tavelure de mon histoire » Ces vers le conclut : « que tout se parle enfin / en moi / je. » Après le père et la fille, des poèmes remarquables pénètrent en l’univers de la mère. Dans L’album de la présence et Les cercles vides de bagues, France utilise le futur antérieur, ce temps du verbe qui exprime un futur considéré comme accompli, ce qui intensifie la présence, annulant presque l’absence de la mère. Elle fait siens les propos d’Anne Michaels, « Il n’y a pas d’absence s’il persiste le souvenir de l’absence. » Des vers si émouvants autour du grand départ que je vous offre la strophe entière « pendant que dehors d’autres femmes / habitaient des robes de soirée / nous aurons changé sa robe de nuit / puis de nuit / puis de nuit »
Voix indigènes se lit à voix basse, à voix haute, un stylo à la main, une larme au bout de l’œil, une émotion au fond du cœur. On éprouve même de la joie à être attristé. Cette poésie profondément humaine nous plonge dans un bain de beauté et de bonté. La nature occupe une place prépondérante dans le regard poétique de France Cayouette. Pas étonnant que Voix indigènes me soit un fidèle compagnon de randonnée. Je ne peux me résigner à le déposer sur les rayons de ma bibliothèque. Nous n’en avons pas terminé d’échanger nos confidences. Préparez-vous à entreprendre une pérégrination à travers le profond et l’intime à ne plus vouloir abandonner le chemin. Je suis convaincue que l’œuvre mènera loin la voix de France Cayouette.