Lettre vagabonde – 7 mai 2008
Cher Urgel,
Le voyage est devenu une activité courante accessible à la plupart de nos portefeuilles. Il ne se passe pas une semaine sans que quelqu’un de notre entourage parte ou arrive de voyage ou de vacances. Qu’est-ce qui poussent les gens à partir ailleurs?
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai été attirée par les voyages. Mon père était un sacré voyageur. Il entreprenait des voyages d’un jour surtout, trois jours, c’était son maximum. Nous partions de bon matin, roulant vers quelque coin mystérieux de la planète. Il prenait rarement la même route, s’arrêtait souvent. Il savait se perdre pour transformer le voyage en audacieuse expédition. Peu m’importait la distance ou la destination, pourvu que le monde renaquît sous mes yeux. J’adorais ces brèves sorties, qui de nos jours, ont perdu le statut de voyage.
J’ai fouillé dans les brochures, les dépliants fournis par les provinces ou les agences touristiques. Je n’y trouve qu’une succession de forfaits où tout est inclus. Et si je voulais tout simplement m’arrêter quelque part pour admirer la beauté des lieux ou rencontrer les gens? Les pays de l’Europe et de l’Amérique du Sud sont devenus aussi accessibles que la province d’à côté. Mon premier voyage organisé m’a donné accès à une douzaine de pays en vingt-trois jours. Londres a duré le temps d’une nuit d’insomnie suivi d’un jour de brume, le même que celui du départ vers la France. L’autobus filait sur l’autoroute puis s’arrêtait pour nous laisser visiter là une cathédrale ici un musée, là un monument avant de nous engouffrer dans une boutique de souvenirs. Lors d’une toute petite soirée à Bruxelles, j’ai découvert dans le noir, Manneken Pis et une librairie où j’ai acheté mon premier livre de Lyall Watson.
Maintenant les voyages organisés offrent des circuits littéraires, historiques, culturels, la découverte de la nature ou un pèlerinage religieux. Ce genre de voyage nous montre ce que l’industrie touristique a décidé de nous montrer. L’écrivain voyageur Nicolas Bouvier soutient que le voyage de masse « c’est du tourisme avec illusion; on sait d’avance ce qu’on désire trouver dans un pays et on sait que les gens de ce pays vous l’ont préparé, même si ça n’existe plus. »
Des voyageurs traînent avec eux leurs habitudes et leur confort. L’écrivain américain Bill Bryson, les décrit ainsi : « Quand l’envie de voyager vous prend, vous vous enfermez dans une luxueuse boîte de treize tonnes, vous parcourez sept cents kilomètres hermétiquement protégés contre les éléments naturels et vous vous arrêtez dans un camping où vous vous précipitez pour l’eau et l’électricité afin de ne pas être privés un seul instant d’air conditionné, de machine à laver la vaisselle ou du four micro-ondes. »
Des voyageurs migrent vers les saisons et non des pays. Ils fuient la saison hivernale pour saisir l’été de la Floride ou du Mexique. D’autres s’installent la durée d’un congé en un endroit où se reposer et s’adonner au farniente. De ceux-là, on dit qu’ils prennent des vacances. Logés en général à proximité d’une plage sablonneuse ou au bord d’une piscine, leur chambre à air climatisé leur donne accès à tous les services. Il existe un autre genre de voyageurs : le randonneur. Celui-là, muni d’un sac à dos, d’incertitudes et de modestes moyens financiers parcourt le monde à pied. Pour le randonneur, marcher c’est partir à la découverte du monde et de soi. Le peu qu’il voit, il le verra en profondeur, usant de l’œil comme d’une lentille de microscope.
Que l’on séjourne des semaines en ces lieux de plaisance ou que l’on se déplace à pied ou en voiture, il en restera quelque chose à ramener avec soi si l’on a daigné porter un regard différent et accepter de vivre autrement. Paul Theroux écrit dans Stranger on the train que « certains voyages ne quittent jamais la société dans laquelle on vit, ni sa langue, ni sa nourriture, ni le logement et les services. Ces genres de voyages sont le privilège des riches. » Nicolas Bouvier insiste sur le fait que « l’on ne voyage pas pour se garnir d’exotisme comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme des serviettes élimées par la lessive… » Ça ne vaut pas la peine de voyager si l’on retrouve la même chose partout.
Prendre des vacances ou partir en voyage peut apporter dépaysement et découvertes. Les voyages organisés sont parfois la seule façon de voir quelque chose dans les pays où nul ne s’aventure seul. Chacun a sa façon de partir vers l’ailleurs. Olivier Barrot peut parcourir quarante-cinq mille kilomètres et voler cinquante-cinq heures pour un séjour au sol de même durée. Pourtant, ses récits, où villes, habitants, et lectures s’entrechoquent, peuvent nous transporter au bout du monde. « Ce qui compte avant tout », nous confie Olivier Barrot, « c’est d’être ailleurs. »
J’apprécie les récits de voyageurs et de vacanciers pourvu qu’ils soient authentiques et réellement vécus. Je me méfie des tartarins qui ont toujours vu mieux et plus. « Continuons de voyager à notre guise, vers le but que nous avons choisi nous-mêmes » nous conseille Stefan Zweig dans Voyages. Ce sera la différence entre le voyageur et le touriste voyagé.
Il me reste des souvenirs inoubliables des voyages d’un jour avec mon père. Ces moments uniques valent autant que ceux passés à parcourir en autobus douze pays européens en vingt-trois jours. « Pas besoin d’aller loin pour se perdre » écrit François Laut dans sa biographie de Nicolas Bouvier. Il ajoute « Il y a des voyages qui ne demandent pas à être racontés et qui se consument sur place. » Tu avais raison Urgel de me dire que tes vacances dans le Sud furent de ceux-là. Les vacances se consument plutôt sur place. Le voyage lui, risque de vous « faire ou vous défaire » s’il est entrepris malgré ses obstacles et ses incertitudes. Stefan Zweig est convaincu que « c’est là l’unique moyen de découvrir non seulement le monde extérieur mais aussi notre univers intérieur. »
Je laisse à Monique Juteau le dernier mot. « Que cherchons-nous dans ces ailleurs du bout du monde? Tout répondrons-nous. Tout ce qui peut être trouvé. »
Amitiés,
Alvina