Lettre vagabonde – 9 juin 2015
Pour les marcheurs avides de randonnées dans les sentiers en forêt et en montagne, le début du printemps pose ses limites. En avril on range les raquettes et on prend son mal en patience. Pistes de neige trempées, mares boueuses, empêchent de donner libre cours à l’aventure pédestre. C’est le moment d’entreprendre de pittoresques voyages à pied dans les
nombreux villages de la région.
Tout plein de petits villages ne demandent qu’à être explorés. Place dans le coffre de ta voiture ton sac à dos, tes bâtons et chausse tes bottes. N’oublie pas ton goûter. Je t’emmène sur les Plateaux. Objectif : le village de l’Ascension-de-Patapédia. Avant de l’atteindre, tu traverseras trois villages parsemés de sommets, de cols et de grands champs vallonnés striés de forêts.
Au fin bout du village : le Soleil d’or. Le voyage à pied débute ici. Tu arrives en randonneur, surtout pas en touriste. Deux belvédères perchés au bord de la falaise donnent à admirer la rivière Restigouche en train de serpenter une forêt ondulante et touffue comme si tu étais en montgolfière. Le chemin tout en collines, en virages, se glisse entre les terrains boisés et les habitations. La hart rouge monte la sentinelle le long des fossés. L’agriculture y a encore sa place. La bergerie de Patapédia décore l’espace de ses grands toits bleus, ses rouleaux de foin et ses tas de fumier. Des maisons anciennes se sont ancrées dans l’espace pour respirer la paix et goûter la liberté. Des habitations plus modernes tentent de les imiter. Une multitude de cabanes d’oiseaux embellissent les propriétés et attirent une gent ailée variée. Perchées au faîte des arbres sur les poteaux de clôture, clouées aux troncs d’arbre et aux murs des granges, les cabanes accueillent une population active et bienfaisante.
Chaque village offre un visage unique, celui de l’Ascension-de-Patapédia a plutôt bonne mine. Même les quelques maisons abandonnées conservent leur âme. Elles n’ont pas terminé de raconter leur histoire. Le clocher de l’église domine le village. Le rassemblement à l’église, ce dimanche-là, donnait l’impression que tous les résidants des Plateaux s’étaient donné rendez-vous. Le parvis de l’église grouillait de monde. Les voix résonnaient de gaieté comme c’est le cas lorsque tout le monde se connaît.
Je préfère marcher les bouts de chemins aux maisons dispersées, emprunter des chemins de terre. Au printemps ça sent l’humus et la renaissance d’une saison toute en odeurs. Même les chiens ici sont calmes et relaxes. Notre expédition de trois randonneuses ne s’est attiré aucun jappement. J’ai félicité quelques propriétaires. Le village est si propre et les cours si bien entretenues que je me croyais au royaume des paysagistes. De vieilles granges encore solides se dressent dans les champs et certaines, sans animaux, s’accordent une seconde vie en se transformant en entrepôts. Des rangées de cordes de bois bien ordonnées ajoutent leur sculpture au décor.
Le Québec est parsemé de petits villages qui ne demandent qu’à se révéler aux passants. Bertrand Laverdure a voulu susciter la curiosité et l’étonnement pour les petits villages. Avant de fermer ses portes, la micro-maison d’édition a donné la parole à des écrivains qui, sous forme de poèmes, nous révèlent l’âme des lieux. Hélène Monettte a entendu les chants de mer à l’Anse-à-Valleau. « la vague égrène ses cailloux / à chaque fois c’est une pluie de pierres / le chant roulé des galets usés ». De Godbout, Marie-Hélène Montpetit écrit : « Les pics rocheux dynamitent leurs atomes dans le mica du ciel / Godbout / infante des traverses / élevée dans le fer des songes au rang de citadelle ». José Acquelin, au sujet de Petite-Rivière-du-Loup, nous confie : « je passe sous les pages des arbres / on ne me lit que les yeux fermés / je suspends les points cardinaux / je coule des jours tranquilles ». Élise Turcotte y fait l’éloge de Pike River. Chaque village contient matière à un poème ou à un récit.
À l’Ascension-de-Patapédia ce jour-là, nous avons pique-niqué en plein champ Lilianne, Marie-Claire et moi en empruntant à une corde de bois des bûches de bouleau. Bien installées sur nos chaises de fortune, nous avons profité d’une vue panoramique. Les vols d’oiseaux, la curiosité des insectes, l’odeur de la terre nous enveloppaient tandis que nos regards se lançaient à l’assaut des Appalaches, des collines vallonnées et du bleu du ciel qui teintait jusqu’à notre paysage intérieur.
J’ai eu la chance d’explorer à pied le village de Saint-Alexis et ses rangs en compagnie de Nicole Filion. Écrivaine transformée en guide pour l’occasion me raconte l’histoire des chevaux en liberté qui l’accompagnent sur un bout de chemin, du chevreuil qui a passé l’hiver en compagnie des vaches, allant jusqu’à dormir avec elles dans la grange. Elle a grappillé tant de récits sur son bout de chemin de terre.
Tu découvriras sûrement tes propres villages lors de tes aventures pédestres. Une provision de temps nous est donnée dans la traversée à pied d‘un territoire. Tu profiteras de tes cinq sens qui n’en finiront pas d’amasser des détails, de se dilater tout en étonnement. Tu t’approvisionneras d’un présent palpitant au rythme d’un passé qui a encore de l’avenir. Là le ciel est toujours ouvert, l’espace aéré, la terre bien vivante sur les Plateaux où se niche l’Ascension-de-Patapédia. Les petits villages attendent la trace de tes pas et ce en toute saison.